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“À bas l’état, les flics et les fachos !”
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- Fragments d’une lutte antifasciste
- Note sur la graphie des genres
- Sommaire
- Préface des éditeurices (mai 2024)
- Introduction
- Avant-propos (2023) par Olivier Minot
- Contracter la GALE, les premiers symptômes
- Intermède sport : cardio et streefight !
- Prendre la tête du cortège
- Intermède bricolage : ciment et peinture
- SIAMO (presque) TUTTI
- Les ami·es, les amours, les ruptures
- Intermède shopping : Fred Perry, la mode à petits prix ?
- Aux carrefours de l’insurrection
- Thérapie répressive contre la GALE
- Intermède clubbing: l’Antifa-Fest!
- Éradiquer la GALE
- 2013—2023, 10 ans d’empowerment antifascistes
- Annexe — Autoportraits des galeux·ses
- Remerciements
Note sur la graphie des genres
Le texte principal est constitué de paroles retranscrites d’entretiens oraux. Nous avons préféré respecter les formulations choisies par les personnes interrogées par Olivier Minot.
Dans la préface, l’avant-propos, la conclusion et les notes de bas de page : le point médian est utilisé pour les noms, adjectifs et participes passés dont les formes féminines et masculines ne diffèrent que par la présence ou l’absence d’un·e final (par exemple : les habitant·es sont parti·es) ; la contraction est utilisée pour les noms et adjectifs ayant des suffixes différents au masculin et au féminin (par exemple : auteurice, acteurice) ; la troisième personne du pluriel est écrite « iels » lorsqu’elle fait référence à un groupe de personnes ou d’objets dont les genres diffèrent entre les sujets qui le composent.
Sommaire
Leomittednovembre 2023, la dissolution de la GALE (Groupe Antifasciste Lyon et Environs) est confirmée par le Conseil d’État. Après l’avoir suspendue lors d’une procédure de référé-liberté, la jugeant trop attentatoire à la liberté de réunion et d’association, le Conseil d’État finit par la valider sur le fond. Cela implique une interdiction pour la GALE de communiquer en son nom, que ce soit via les réseaux sociaux, la presse ou par la publication de textes politiques. De même, les membres désigné·es comme appartenant au groupement de fait (sur la base de renseignements policiers) sont passibles du délit de reconstitution de ligue dissoute si iels continuent à s’organiser politiquement ensemble.
Cette dissolution est rendue possible par la loi séparatisme de 2021, et s’inscrit dans un mouvement de fort accroissement de telles décisions. En fait, il y a eu plus de dissolutions sous Macron que dans toute l’histoire. Cet outil destiné originairement à lutter contre les ligues fascistes dans les années 1930 aura fini par se retourner contre les groupes antifascistes. Il ne s’agit pas d’un dévoiement malheureux, la dissolution administrative a toujours été utilisée pour essayer de mater l’ennemi intérieur.
Préface des éditeurices (mai 2024)
« Et même si rien ne devait être comme nous l’avions espéré, cela ne changerait rien à nos espérances. Les espérances resteraient, l’utopie serait nécessaire. Plus tard aussi les espérances s’embraseraient de nombreuses fois, étouffées par l’ennemi plus fort et elles se réveilleraient sans cesse. » — Peter Weiss, L’Esthétique de la résistance, 1975
Ce livre est un projet envisagé avant même la création des éditions Burn~Août, bien avant aussi la dissolution de la GALE. Certain·es d’entre nous ayant arrêté nos études suite au bouleversement subjectif que fut le mouvement à Lyon contre la loi Travail de 2016, il nous semblait logique de raconter l’histoire de la GALE, car elle est emblématique d’une certaine manière de concevoir l’action politique ces quinze dernières années en France. Nous entendons par là une action politique qui ne tremble pas de se dire révolutionnaire et qui, usant du vocabulaire de l’antifascisme, actualise la grammaire de ce que certain·es appellent l’hypothèse autonome. Hypothèse qui, dans ce groupe, se traduit entre autres par un refus radical de toute représentation politique, et donc, par la volonté de se représenter soi-même par tous les moyens. En un sens, ce livre prolonge ce geste, a fortiori depuis que la dissolution a réduit le groupe au silence.
L’ouvrage a mis du temps à trouver sa forme finale : un long entretien avec sept membres de la GALE qui narre quinze ans de lutte antifasciste à Lyon. Plusieurs questions se posaient avant d’amorcer un travail éditorial. Certaines furent balayées à la suite de la dissolution du groupe tandis que d’autres subsistaient tout au long du travail, en voici ici quelques-unes :
Pourquoi raconter l’histoire de ce groupe en particulier ?
Pourquoi la raconter alors même qu’il existe encore ?
N’est-ce pas déjà faire de cette histoire une archive — en quelque sorte, programmer sa mort ?
Qu’est-il bon de dire et sur quoi est-il bon de garder le silence ?
Comment faire à la fois autant et plus que de la propagande ?
Sûr·es que la réponse était dans la forme que ce livre donnerait au récit, nous avons exploré plusieurs pistes jusqu’à croiser la route de Et s’ouvre enfin la maison close1, livre publié en 2023 par les éditions Demain les flammes, qui est devenu une référence majeure pour le travail éditorial autour de “À bas l’état, les flics et les fachos”.
L’auteur, Nathan Golshem, y fait le récit d’un squat toulousain, le Clandé, à partir du témoignage de celleux qui l’ont occupé. Plutôt qu’une grande histoire, c’est le régime de l’anecdote qui prime et chacun·e raconte la trajectoire qui l’a amené·e à s’organiser dans l’ancien bordel. Si nous avons été attiré·es par la forme de l’entretien pour raconter l’histoire du groupe, c’est qu’elle procède d’une méthodologie résolument féministe qui met en avant des paroles à la première personne et des savoirs situés. Ainsi, le groupe apparaît moins comme unité discursive énoncée sous un « Nous » qui risque un universalisme abstrait, que comme une entité dont l’histoire est travaillée par la multiplicité des subjectivités qui l’ont traversée.
À cette découverte s’en est ajoutée une autre : celle du travail d’Olivier Minot qui, en décembre 2021, réalise « L’affaire des sept antifas » pour Les Pieds sur terre sur France Culture2. Cette émission radiophonique a été une entrée dans le travail de son auteur qui nous a touché·es, tant par sa volonté de rendre audible un discours antifasciste à un public large, que par la qualité de sa réalisation. Immédiatement, nous avons décidé de contacter Olivier en lui présentant notre idée. Il nous a fait part de ses questionnements : pouvions-nous lui assurer une totale liberté en tant qu’auteur ? Aurait-il la possibilité d’aller recueillir des voix antagonistes ? Après plusieurs discussions avec nous et d’autres membres de la GALE, son travail d’entretien a pu commencer.
En utilisant les outils du documentaire, le livre vise à « l’écriture du réel ». Oxymore commun qui confronte des vécus irréductibles à un geste d’écriture inévitablement réducteur. Dans “À bas l’état, les flics et les fachos” le réel est altéré par une succession d’opérations qui permettent la construction d’un récit cohérent et ce, malgré l’hétérogénéité des voix qui l’habitent. D’abord, les souvenirs racontés par les interrogé·es sont nécessairement partiels : le temps ravine les esprits et certains pans de nos vécus n’y résistent pas. Et, malgré nous, le souvenir consiste bien souvent en une forme d’invention où l’on ne peut éviter que les choses du passé soient médiées par ce qu’on est devenu depuis. « La mémoire, fidèle alliée de l’approximation, aime travailler dans son coin », soulignait ainsi Nathan Golshem dans sa préface à Et s’ouvre enfin la maison close. Vient ensuite le travail de l’auteur, qui ordonne la matière brute des entretiens pour en dégager une chorégraphie de groupe à la fois hétérogène et cohérente. D’aucun·es nous disent que traduire c’est trahir, mais retranscrire alors ? N’est-ce pas, d’une certaine manière, traduire une situation ? La trahison du réel est, de fait, constitutive du choix formel d’Olivier Minot, car comment présenter un récit à sept voix, huit avec la sienne (quinze, en comptant l’entièreté du casting) en cent cinquante pages quand on a plusieurs dizaines d’heures d’enregistrement comme matériau initial ? Il faut faire des choix, des découpages, des cadrages et assumer ainsi que le récit est une histoire singulière de la GALE, que d’autres auraient pu être écrites ; se rappeler enfin qu’il existe toujours un hors-champ du livre. Il s’agit donc ici d’une reconstitution qui ne peut qu’être fragmentaire, à la fois lacunaire et trop riche, contradictoire, toujours ramenée aux « incertitudes scintillantes de la tradition orale »3 dans laquelle le livre s’inscrit. La non-exhaustivité du récit s’explique aussi au regard des thèmes abordés. La nature de certains actes, aux limites de la loi, conjuguée à leur contemporanéité appelle parfois à rester flou et faire preuve de discrétion. À ce sujet, le texte est ainsi soumis à une tension : d’un côté, le sentiment d’une grande responsabilité à l’endroit de la transmission des récits de luttes, afin qu’elles trouvent un écho et qu’elles grandissent en suscitant du désir ; de l’autre, la répression qu’une trop grande exhaustivité pourrait engendrer.
De la même façon, la nécessité de la transmission d’une histoire par les acteurices du groupe répond à la vitesse de sa réappropriation par les instances de pouvoir. Ce livre s’affronte au narratif de l’enquête policière en produisant un contre-récit. L’État, en tant qu’entité répressive, crée une narration des événements qu’il traduit en justice, il impose une certaine histoire. L’institution judiciaire est une structure qui fabrique du récit se faisant passer pour neutre et véridique sous couvert d’une pseudo-objectivité et grâce à un lexique aussi technique qu’abstrait. Or il serait présomptueux de dire que la langue de la Justice n’a pas d’impact sur les vies, sur les imaginaires collectifs. Faire ce livre, faire des livres peut être une façon de nous réapproprier l’histoire présente des luttes et de ne pas laisser la langue hégémonique se substituer à ce qui est vécu.
“À bas l’état, les flics et les fachos” s’adresse à un public large en tant qu’il essaye de faire résonner des propos trop souvent invisibilisés ou inaccessibles et de rendre plus tangible une vie d’activiste parfois perçue comme vaine ou trop radicale. L’ouvrage se destine également aux ami·es, comme on se raconte des vieux souvenirs pour les faire exister encore et contribuer à alimenter un imaginaire commun.
Au-delà de son adresse, l’intérêt du livre réside dans la façon dont il transmet des expériences. D’une certaine manière, il se place dans la lignée de ce que l’on appelle communément une tradition orale, une forme de récit que Walter Benjamin oppose au roman dans son essai Le narrateur. Réflexions à propos de l’œuvre de Nicolas Leskov4. D’après Benjamin, cette tradition se distingue quant à son processus de communication : c’est un certain sens du partage qualifié par une forme d’artisanat collectif de la narration ; les histoires sont marquées par celleux qui les racontent, et poussent les personnes qui les écoutent à en trouver des prolongements dans leurs propres vies. En tant qu’iels se racontent, les membres de la GALE mettent en discussion leurs expériences ; iels les insèrent dans une histoire qui les dépasse largement, celle de l’antifascisme et de l’autonomie française, tout autant qu’iels en facilitent la transmission.
Introduction
Côme En 2014, pendant la coupe du monde au Brésil, pas mal de supporters fêtaient les victoires de l’Algérie, le soir, dans le quartier de la Guillotière à Lyon. Vu que c’étaient des supporters algériens, la police chargeait et balançait du gaz. Et la fête s’est transformée en émeute. Au soir du troisième match, avec un autre mec de la GALE, on a tourné dans le quartier pour filmer les violences policières, c’était la grande époque du site « copwatch5 ». Ce soir-là, sur la place de la Fosse aux ours, où il y a un petit manège, les flics tiraient les lacrymos d’un côté, les supporters algériens lançaient des bouteilles en verre de l’autre. Et nous, on s’est retrouvé en plein milieu.
Là, le pote me montre deux gars en face de nous : il s’agissait de Damien Rieu et Maxime Gaucher, deux leaders identitaires qui venaient filmer pour faire leur propagande sur la fachosphère. On a foncé sur eux, mon pote a mis deux patates à Gaucher qui a fui vers les flics alors que le deuxième caméraman identitaire avait disparu. Et c’est dans un des recoins du manège fermé, derrière un rideau qu’on a retrouvé le petit Damien, tout pâle, espérant qu’on ne le découvre pas, un peu comme un enfant puni. Alors je l’ai tiré par le col, il est tombé par terre, je lui ai mis des gros coups de pieds dans le cul, mais vraiment, plein de coups de pieds dans les fesses, le truc humiliant ! Il a fini par partir en courant vers les flics, et une fois protégé par la ligne de la BAC, il nous a pointés du doigt et nous a gueulé dessus. Moi je boitais parce que je lui ai botté le cul tellement fort que je me suis fêlé l’os du pied. Ça a gonflé, je ne pouvais plus mettre le pied par terre et j’ai eu une semaine d’arrêt. Autant dire que Damien Rieu, il a le cul dur…
C’était notre première rencontre avec lui, et ce petit faf des rues lyonnaises et porte-parole de Génération Identitaire6 a depuis monté les échelons : il est passé au Front National, avant de rejoindre le parti de Zemmour7. Aujourd’hui il porte des costards, il est invité chez Hanouna en tant que « lanceur d’alerte » et s’est présenté aux élections en 2022. Désormais, si on s’en prend à lui, on va nous accuser d’attaquer la République.
Avant-propos (2023) par Olivier Minot
Je m’appelle Olivier Minot, j’ai 42 ans et je n’ai jamais botté le cul de personne. Je ne suis pas militant, je me revendique « de gauche », ce qui est large et pas très excitant. Mon engagement, c’est plutôt la radio, que je pratique depuis l’âge de 12 ans, c’est elle qui m’a formé et qui est devenue mon instrument pour jouer, passer des paroles, brasser des idées, et donc faire un peu de politique.
C’est dans ce cadre que j’ai rencontré certain·es militant·es de la GALE8 en 2021 : après avoir assisté au procès de la fameuse « affaire des 7 », je décidai de raconter cet imbroglio judiciaire pour l’émission Les Pieds sur terre de France Culture.
Cette affaire, comme l’anecdote sur le cul dur de Damien Rieu, est symptomatique : les p’tits fafs que je croisais dans ma ville il y a vingt ans semblent maintenant du côté des institutions de la République, tandis que les antifas sont pourchassé·es. Dans le même temps, l’extrême droite « parlementaire » est montée en puissance au niveau international avec les arrivées au pouvoir d’Orbán, Trump, Bolsonaro, Salvini et aujourd’hui Meloni, Milei… En France elle est symbolisée entre autres par les mesures de déchéance de nationalité proposées par le PS et la politique répressive et raciste du ministre Darmanin, qui qualifiait Marine Le Pen de « trop molle » sur un plateau télé9 ; on pourrait aussi parler de l’arrivée à l’Assemblée nationale de 88 député·es d’un parti fondé par Jean-Marie Le Pen et un ancien Waffen SS, aujourd’hui les bienvenu·es quand il s’agit de manifester contre l’antisémitisme. Et enfin, ma ville et mon quartier sont confronté·es au renforcement des groupuscules ouvertement néonazis qui semblent avoir pris Lyon pour capitale.
Aujourd’hui, des fafs10 défilent dans les rues de Paris et font des saluts nazis au sein même de l’espace Simone Veil, iels incendient la maison d’un maire qui assume vouloir accueillir des migrants et iels ratonnent dans un quartier populaire de Romans-sur-Isère comme dans les rues du centre de Lyon. Pendant ce temps-là, les politiques en place censé·es dénoncer ces attentats renvoient sans cesse aux « violences d’extrême gauche ». Comme si fascistes et antifascistes étaient juste deux faces d’une même pièce. Ce discours devenu dominant me désespère.
Cependant, il faut reconnaître que parfois, certain·es de nos ami·es antifas collent bien à la caricature : même accoutrement que celleux d’en face, souvent virilistes, bagarreureuses, bêtes et parfois méchant·es. Le 1er mai 2022, comme chaque année, ce jour de « fête des travailleureuses », je suis sur une place de mon quartier pour le traditionnel repas de quartier organisé par Radio Canut, dont je suis animateur depuis vingt ans. C’est un moment convivial, toute la gauche et tout le quartier se retrouvent autour d’une tarte végétarienne, d’un verre de punch offert par la radio, d’une chorale… Il y a des enfants, des voisin·es, des gens qu’on croise seulement ce jour-là, c’est comme une réunion de famille choisie à multiples ramifications. Cette année-là, un groupe a débarqué masqué, menaçant, et une bagarre a éclaté. « C’est les fachos », se sont alarmées certaines voix. Non, c’était un groupe antifa qui venait se battre avec un autre groupe antifa.
Et comme après une bagarre dans une cour de récréation, chaque groupe a rejeté la faute sur l’autre, remontant à de précédentes anecdotes de baston, de coup de pression, de dérive sexiste, de trahison… Chacun·e trouvant ainsi une bonne raison politique d’aller tabasser ses meilleur·es ennemi·es. Mais ces justifications importent peu. Les 90 % des gens présents sur la place ne connaissent pas les guéguerres internes à ce milieu et ont juste vu deux groupes de gauche se foutrent sur la gueule. Les fachos, qui des fois rôdent autour de ce repas de quartier, ont dû bien rigoler ce jour-là. Alors quand quelques jours plus tard, une maison d’édition proche des idées de la GALE, un des deux groupes en question, est venue me demander de travailler sur ce bouquin, j’étais partagé entre ne pas mettre mon nez dans ce panier de crabe et essayer de comprendre. Les membres de la GALE ont entendu mes critiques, mes réserves, iels ont accepté que cet ouvrage qui raconte leur histoire ne soit pas à sens unique, qu’il y ait aussi des regards extérieurs qui puissent s’exprimer, à commencer par le mien. Mes doutes sont revenus quand, en cherchant justement les bonnes personnes pour apporter ces observations, j’ai été confronté à des peurs de réprimande et surtout à une certaine détestation de la GALE : « Pas de temps à perdre avec ces gens-là », ou plus ironique, « Ils sontdéjà dans la merde avec leur dissolution, pas envie de les enfoncer ».
Derrière ces affrontements qui peuvent être violents, se cache une fracture politique loin d’être nouvelle dans « la gauche ». Libertaires contre stalinien·es, insurrectionnalistes contre démo- crates, avant-garde contre mouvement de masse… Déjà en 1970, les autonomes attaquaient le SO de la CGT. Assister encore à ce genre d’affrontements cinquante ans plus tard confirme un conflit historique, mais relativise les postures révolutionnaires de militant·es qui conservent ces lignes de division qui n’ont fait avancer aucune révolution. Et puis quand on dénonce le stalinisme et qu’on se revendique de la diversité des tactiques, mais qu’on est prêt·es à tabasser des « camarades » parce qu’iels ne sont pas tout à fait sur la même ligne, ça pose question ! Ce sont des réponses que j’ai voulu aller chercher en entamant ce travail. J’ai interviewé sept militant·es de la GALE11. Chaque entretien, réalisé en tête-à-tête, a duré plusieurs heures et chacun·e a pris le temps de se raconter au calme.
Dans ce noyau dur, il y a une diversité de classes, d’origines, d’identités mais aussi de cultures politiques : on ne peut pas leur faire le procès d’être un groupe homogène de chasseureuses de skins décérébré·es, ni de former une avant-garde bourgeoise de surdiplômé·es en sciences sociales, contrairement à ce que nous renvoie généralement l’imaginaire des groupes antifas ou autonomes. Toustes racontent comment ils et elles sont rentré·es en politique, car pour ces militant·es brillant·es, « rentrer en politique » ne signifie pas prendre une carte dans un parti hiérarchisé pour devenir un·e professionnel·le qui très vite mettra de côté ses idéaux au profit de son ambition ; « rentrer en politique », c’est lutter au quotidien sur le terrain et souvent de manière invisible.
Et une fois certaines postures prétentieuses sur le reste de la gauche dépassées, on ne peut que saluer ce travail militant. Il contrecarre un peu les médias de masse, fait vibrer les cœurs restés à gauche comme le mien, nous sort de la résignation, et nous protège encore un peu d’un basculement plus inquiétant. Cet activisme questionne aussi le mouvement social en le forçant à garder un cap, à remettre en question certaines traditions et trajectoires de cortège parfois planplan… Et cet engagement leur est coûteux, harcelé·es par la police dans leur quartier, humilié·es par la presse bourgeoise, poursuivi·es et enfermé·es par l’État, et même dissous… Alors quoi qu’on pense de leur stratégie et de leuraction, ces personnes méritent d’être entendues.
Enfin et surtout, leur histoire dépasse largement le cadre d’un minuscule groupe local antifasciste : à travers ce qu’a fait la GALE (qui n’est évidemment qu’un grain de sable dans la plage qui bouillonne sous les pavés), on revivra quinze ans d’événements communs, de la mort de Clément Méric aux Soulèvements de la Terre en passant par la loi Travail, les cortèges de tête, les Gilets Jaunes, le confinement, les mesures sécuritaires, les dissolutions autoritaires, la révolution féministe en cours, les violences policières…
Contracter la GALE, les premiers symptômes
Mathéo En 2010, des syndicalistes de la CNT12 se sont fait agresser par des fachos dans le Vieux Lyon, une manif antifa de soutien avait suivi, un truc énorme avec des milliers de personnes, c’était le moment fort de mon arrivée à Lyon et aussi ce qui m’a poussé à faire de l’antifascisme. Ensuite il y a eu aussi l’agression de Léo et Anne-C13, sur le parking de Carrefour à la sortie d’un concert à Villeurbanne, ils sont partis avant moi, et quand je suis sorti du squat, des gens couraient dans l’autre sens pour appeler les secours, j’ai encore l’image de Léo avec la tête en sang dans le camion des pompiers. Depuis petit, j’avais un tempérament un peu nerveux, un peu bagarreur, et quand je suis arrivé à Lyon, je m’étais promis de me calmer, ce comportement pouvant être dangereux. Mais quand j’ai vu ces agressions, avec un mouvement fasciste hyper fort et un mouvement de gauche quidevait se défendre, je me suis dis de façon très pratique : « J’ai des compétences en termes de baston, c’est pas quelque chose qui me fait peur, il faut leur tenir la rue, alors je vais me battre contre eux ! »
Côme J’ai commencé à me rapprocher des groupes antifascistes après l’énorme marche de 2010 qui a suivi l’agression des gens de la CNT.
Mathéo Il y avait toute une génération d’anciens à l’époque, des gens issus du SCALP14, et aussi des plus jeunes : j’ai papillonné autour des Voraces, un groupe antifa autonome qui était vraiment identifié au quartier des pentes de la Croix-Rousse. Il y a eu les jeunes de la Rafale aussi, mais ces groupes n’ont pas duré.
Côme On était une dizaine de jeunes, beaucoup de mecs, notamment des anciens des Voraces, on traînait place Colbert sur les pentes de la Croix-Rousse, à la librairie La Plume noire15, au bar La Fourmi rouge qui est devenu La Pinte douce…16 et aussi au bar De l’autre côté du pont, à la Guillotière. On faisait des actions, comme taguer et casser des vitres d’un bar ou d’un resto qui allait accueillir une conférence ou une réunion de fafs, mais on ne revendiquait pas ces actions, on s’en foutait que les gens sachent que la salle avait été niquée par les antifas, mais les fafs, eux, savaient que c’était nous et ça leur mettait un coup de pression ! On était dans notre bulle, c’étaient nos ennemis, on les voyait en face-à-face, dans les manifs, dans des bagarres, on voulait les niquer. On a fait ça pendant deux ans entre 2011 et 2013, à l’époque du Bunker Cor, un gros local néonazi de Gerland, on participait aussi aux manifs du Collectif Vigilance 6917 et le week-end on traînait dans les concerts punks, que ça soit à Dijon, à Genève ou à Lyon. On était proches de la CGA mais on ne voulait pas intégrer un groupe officiel, on avait déjà été tellement déçus par des syndicats, des partis…
Mathéo J’avais rejoint le NPA au moment de sa formation en pensant que c’était un parti révolutionnaire. À la première réunion, on a passé notre temps à amender un texte national, c’était plus chiant que l’école. Si on avait une initiative, il fallait passer par la commission truc, et si la commission machin validait pas, ça ne marchait pas, ça m’a frustré ! Je ne pensais pas qu’on allait tout de suite fabriquer des Molotov, mais j’imaginais quand même voir des gens un peu dans l’action !
Ça m’a quand même permis de rentrer dans le milieu militant, de capter les anarchistes, et eux m’ont tout de suite séduit : la démocratie directe, donner du pouvoir à tout le monde, s’organiser collectivement. J’ai rejoint la Plume noire pendant deux-trois ans, ce groupe communiste libertaire m’a plu et formé intellectuellement, et j’ai rencontré des gens sympas. Mais au bout d’un moment, j’ai capté qu’il ne suffisait pas d’affirmer que le pouvoir est horizontal pour qu’il le soit réellement. On passait beaucoup de temps à voter pour les prises de décisions internes et au final, les gens qui avaient la meilleure façon de parler l’emportaient. Et aussi, ils passaient pas mal de temps à chercher de la respectabilité auprès des organisations plutôt sociales-démocrates, ce qui laissait moins de temps pour militer dans nos quartiers. Alors j’en suis parti parce que j’avais l’impression de ne pas servir à grand-chose.
L’affaire des 25
Côme En 2013, les Jeunesses nationalistes, l’Œuvre française et le GUD, qui lui venait de se reconstituer à Lyon, ont décidé de faire le C9M à Lyon. Le C9M, ou Comité du 9 Mai, c’est un défilé fasciste qui a lieu chaque année le 9 mai à Paris en hommage à Sébastien Deyzieu, militant faf mort dans les années 1990. Mais cette année-là, ils se sentaient tellement puissants ici qu’ils l’ont organisé à Lyon, sur la place où il y a la statue de Jeanne d’Arc, avenue Foch, dans le 6e arrondissement.
Mathéo C’est le néonazi Gabriac des Jeunesses nationalistes qui organisait ça avec l’Œuvre française, le mouvement de Benedetti, où traînaient pas mal de barbouzes et d’anciens mercenaires. Et puis il y avait aussi tous les hooligans de Lyon, donc ça faisait quand même du monde avec des mecs un peu solides.
Zoe Pour nous, ce n’était pas possible qu’ils puissent tenir leurs discours de haine publiquement alors on s’est organisés pour les attaquer…
Mathéo …On s’est rejoints sur place, très déterminés et équipés pour les dégager : armes, casques, bâche renforcée…
Côme …Je crois qu’on n’a jamais refait de bâche renforcée comme ça, ils pouvaient tirer au LBD dedans, on ne sentait rien. On avait des sacs de cailloux, de bouteilles et de piles pour leur jeter dessus, des barres en bois, des fumigènes, certains avaient des poings américains, des gazeuses…
Mathéo …On était prêts à la guerre. On s’était dit : « On va pourrir leurs commémorations de néonazis, et on va les dégager. » On avait misé sur cent cinquante personnes avec nous…
Mathéo …Au final, on était plutôt vingt-cinq. Naïvement, on s’était dit que tous les antifas de la région allaient venir, mais il n’y avait que des gens de Lyon et de Grenoble, c’était une bonne équipe quand même, prête à foutre le bordel. Et on avait une centaine de militants en soutien derrière.
Zoe On s’est regroupés discrètement dans une petite rue adjacente, on a guetté, on a pris le matos, et on est partis vers leur rassemblement avec la bâche mais au bout de quelques mètres, les flics sont arrivés, ils nous ont pointés avec leurs flash-balls, on s’est protégés avec la bâche avec l’idée de passer leur ligne, mais on a dû s’arrêter parce qu’ils étaient trop nombreux, et de tous les côtés. On ne pouvait plus bouger, on était pris en étau.
Côme On s’est mis en boule sous la bâche, en mode « formation tortue » comme les Romains dans Astérix, on s’est tous dématossés, et on a lâché la bâche par terre. Quand ils nous ont arrêté, on était tous en jean et tee-shirt avec rien sur nous. Tout le matos était par terre avec la bâche, et ils n’ont jamais pu prouver qui avait quoi sur lui…
Mathéo Nous étions vingt-cinq à avoir été emmenés au commissariat, accusés de regroupement en vue de commettre des violences et possession d’armes.
Côme On a passé 48 heures en garde à vue pendant que les fafs faisaient leur rassemblement tranquille, avec le drapeau celtique, des chants nazis, etc.
Mathéo C’était ma première gardav. Au début, on était dans des cellules pas loin les uns des autres donc on chantait, on faisait les cons, ça passait le temps. Mais au bout de 24 heures, certains ont été libérés et moi, je suis resté seul, et là, c’est devenu long, la bouffe était dégueulasse, je me suis fait chier, pas un bouquin, rien. 48 heures d’isolement, on tourne en rond dans sa tête, c’est dur.
Zoe À cette époque-là, je donnais beaucoup de faux noms donc pendant les gardes à vue, j’ai inventé une identité qu’il a fallu tenir pendant les 48 heures. Les flics ont même appelé la mairie du bled de l’adresse que j’avais donnée et ils me disaient que personne ne me connaissait là-bas. J’ai hésité à avouer à plein de moments mais je voulais vraiment échapper aux poursuites. Finalement, j’ai tenu jusqu’au bout.
Côme Cette affaire a fait parler de nous dans les journaux, ça a permis d’une part de montrer aux fafs qu’il y avait un groupe organisé à Lyon prêt à en découdre s’ils continuaient, et d’autre part de prévenir la préfecture qu’ils ne pouvaient pas autoriser des trucs de fafs sans agitation. Donc pour nous, c’était quand même une victoire.
La mort de Clément Méric
Côme On était dans un parc à Croix-Rousse avec deux ou trois potes du « groupe des 25 », en direct sur nos téléphones avec les amis de Clément qui étaient à l’hôpital, et qui suivaient l’évolution de sa santé. On connaissait Clément et les gens de l’AFA-PB18 à cette époque-là, on les voyait à des concerts, on s’entendait super bien avec eux, c’était un peu les mêmes que nous.
Et puis à 4 heures du matin, on a appris sa mort19. Un cauchemar. On est resté toute la nuit, à discuter, à ressasser les bagarres, les embrouilles, à se projeter aussi. Quelques mois avant, on était au Dikkenek, une baston hyper violente. Pendant les Manifs pour tous, on s’est fait fracasser et on a bien fracassé aussi. Bref, vu les circonstances de la mort de Clément, on a réalisé que ça aurait pu nous arriver dix mille fois.
Dès le lendemain, dans les médias, certains partis comme le NPA ou le PS ont commencé à s’approprier la lutte antifasciste. Ceux qui nous crachaient dessus en manif et qui n’avaient pas eu un mot quand on s’est tous retrouvés en gardav se réappropriaient le truc, on a trouvé ça dégueulasse. Le CV69 contre l’extrême droite a appelé à un rassemblement devant l’hôtel de ville et on s’est dit que c’était à nous de prendre le truc, c’était nous les antifas, c’était nous les « Clément ». Alors on a attendu que le rassemblement commence, et on a débarqué par le haut de la place en claquant des fumigènes et en chantant, avec une banderole hommage signée « AFA Lyon », parce qu’on voulait faire croire qu’il existait un groupe, et qu’on était ensemble avec l’AFA-PB de Clément. Les gens nous ont regardés, accueillis et entourés, on a pris la place comme ça. Il y avait pas mal de médias sur place, le maire de Lyon, Gérard Collomb, qui n’avait jamais rien fait sur ces questions malgré toutes les agressions dans sa ville, est sorti de son château en espérant avoir une petite interview. On a lâché la banderole et on est partis le chasser ! J’étais à deux doigts de le choper mais on s’est fait repousser par la BAC et il a dû être exflitré dans une voiture de flics qui s’est barrée à fond. Malgré ça, l’hommage a été beau, il y avait du monde, et on a fait une grosse manif sauvage qui a donné de la force à tout le monde pour la suite !
Mathéo La mort de Clément Méric, c’est l’événement qui cristallise la création de notre organisation. On avait déjà un groupe informel, un peu secret, mais là on s’est dit qu’il fallait assumer nos valeurs, montrer nos visages, avoir une parole publique… Et surtout, s’assumer antifas en tant que tels. Parce qu’on entendait déjà « les antifas et l’extrême droite c’est la même chose ». Et c’est insupportable de mettre au même niveau des néonazis, qui savatent des personnes pour leur orientation sexuelle, leur couleur de peau, leurs opinions, etc., et les mecs qui veulent les en empêcher et construire un mouvement basé sur la solidarité et l’égalité. Donc on est allés frapper aux portes des gens qui étaient motivés, à la première réunion, on était une trentaine autour de la table et on s’est cherché un nom. On ne voulait pas reprendre « Action anti-fasciste » parce qu’il y avait déjà pas mal d’AFA et on se disait que si un de ces groupes était dissous, ça pouvait entraîner les autres. Ce qui est assez ironique avec le recul. Alors on a opté pour « Groupe antifasciste lyon », mais ça faisait G.A.L. et le GAL20, c’était des fafs barbouzes de l’État espagnol qui traquaient et torturaient les militants basques. C’est pour ça qu’on a rajouté le « E » et on s’est dit la GALE, comme une petite inversion de stigmates, puisque les fachos prétendent que les antifas sont des crasseux, des dégueulasses. Sur les premiers logos, on avait même mis un cafard ! À cette première réunion, la plupart des présents étaient des gens qui traînaient à la Croix-Rousse, aux soirées de la Plume noire, et d’autres réseaux issus de l’organisation des concerts de punk, du mouvement un peu oï qui survivait, le rap militant, des gens à fond de musique, qui voulaient faire du contre-culturel. C’était le milieu musique, Croix-Rousse, militant de gauche, plutôt anar’ quoi !
Côme On a commencé par faire des concerts d’abord, en tenant des tables de presse. Et vu que Lyon était déjà un peu la capitale des fascistes, quand on arrivait dans d’autres villes, les gens venaient nous parler genre « Wow, c’est les antifas lyonnais… Mais ça va ? Vous voulez pas démé‑ nager ?! » Donc on a été assez vite appréciés. Et puis on a organisé des conférences avec des écrivains ou écrivaines, des projections, des mini-concerts de rap ou de punk rock… D’abord à la Plume noire et après plutôt dans des squats.
Zoe La première action revendiquée par la GALE, c’était à Oullins21. Il y avait l’installation d’un centre d’accueil pour personnes sans-abris, essentiellement des Roms suite à l’expulsion d’un bidonville. Une grosse campagne xénophobe avait été lancée avec des affichettes collées sur les magasins pour refuser l’arrivée de ces gens-là. Avec un pote, on a fait tous les commerces de la Grande-Rue d’Oullins pour les arracher, je me suis même fait frapper par une grand-mère !
Lucas François-Noël Buffet, l’ancien maire UMP d’Oullins, a organisé un rassemblement contre ce centre d’accueil : c’était une manif anti-Roms financée par la mairie, avec la présence des identitaires ! On y est allés avec des tracts pour l’accueil des personnes roms et contre la xénophobie, on s’est fait insulter et cracher dessus par tout le monde, c’était n’importe quoi !
Zoe On a scandé des slogans puis on s’est fait chasser par la police, les flics ont bousculé une personne âgée qui s’est blessée en tombant par terre, et ils ont essayé de nous mettre ça sur le dos.
Lucas À un moment, ma sœur22 m’a dit : « Cours ! » Je me suis barré en courant et quand je me suis retourné, je l’ai vue se faire embarquer avec ses potes par les schmitts. C’est en relisant le dossier d’archives sur la GALE que j’ai découvert que c’était la toute première sortie du groupe, et moi, j’y étais !
Contre le FN : « Viens avec ta batte ! »
Côme En novembre 2014, le Front national organisait son congrès à la Salle 3000 à Lyon : ils réunissaient tous les représentants du FN dans la ville où il y avait tous les groupes fascistes de France ! Pour nous, c’était une provocation : tous les groupes antifas, mais aussi le NPA, les partis de gauche, les associations antiracistes… Tout le monde voulait converger à Lyon pour manifester contre. À l’époque, on était encore dans le CV69 qui organisait la contre-manif mais à chaque réunion, on ramait. On était toujours vus comme les petits par les autres partis, ils nous prenaient de haut tout le temps et la goutte qui a fait déborder le vase, c’est quand on a proposé de faire une banderole en tête qui ne ciblerait pas uniquement le FN, mais aussi le racisme d’État. Là, on nous a répondu que ce n’était pas possible, parce qu’on ne pouvait pas taper sur les autres partis de gauche23. On a donc décidé de faire notre propre cortège avec nos revendications et nos pratiques en queue de manif !
Mathéo On ne voulait pas que la manif se limite à juste dire : « Le FN, c’est pas bien . » On voulait montrer l’exemple , qu’il y ait tellement de bordel que ça soit compliqué pour le FN d’organiser ses futurs congrès.
Côme Et c’est là qu’on s’est rapprochés du milieu autonome lyonnais et national, avec des grosses réunions dans les squats pour l’organisation. On faisait venir des antifas et des autonomes de presque toute l’Europe.
Mathéo Notre but, c’était de sortir des sentiers battus, du trajet de manif que la préfecture avait imposé et de partir en sauvage pour s’approcher le plus possible du lieu du congrès, même s’il était gardé comme une forteresse.
Côme Le plan, c’était de faire un début de manif tranquille et discret, pour tenter une percée à la fin et rallier la salle où se réunissait le FN, ou au pire essayer d’attaquer la préfecture qui était sur le trajet ! Pour nous, il fallait que cette journée soit une bataille, on voulait que le lendemain les journaux titrent que la manif a essayé d’attaquer le congrès du FN ! En réalité, on s’est complètement fait dépasser par le truc.
Mathéo On avait chauffé à blanc tous les groupes d’Europe : sur certaines affiches d’appel à la manif, il était écrit : « Viens avec ta batte et ton casque. » Côme Notre cortège autonome a réuni neuf cents black blocs, avec beaucoup d’Allemands, de Suisses, d’Italiens. C’était le plus gros black bloc jamais vu à Lyon.
Mathéo Dès le début, le chef des RG qui n’avait jamais été confronté à un tel cortège, a commencé à vouloir jouer le héros : il a tenté d’arrêter un mec qui avait un marteau, tout le monde lui est monté dessus, un de ses collègues est arrivé pour le protéger et s’est pris des coups de marteau dans le genou et dans la gueule. Donc ça venait de démarrer et on avait déjà un RG blessé, alors que l’idée était de commencer la manif calmement.
Côme Les gens ont vu cette première baston comme un signal ! Quand tu viens d’une autre ville, tu connais pas le quartier, t’as pas bien compris le plan, tu vois un début de truc, tu te dis que c’est bon et tu pètes tout.
Mathéo Banques, assurances, tous les symboles du capitalisme ont été pétés tout de suite : ça a complètement démobilisé le reste de la manif et les flics ont été super hardcore dans la répression.
Côme On essayait tant bien que mal de diriger le truc le plus longtemps possible, de faire avancer les gens avec les banderoles, mais c’était trop tard : les flics nous rentraient dedans, derrière, sur les côtés. Les gens étaient surdéter’, il y avait du matos et on a plus rien géré, donc c’est parti en émeute jusqu’au centre-ville de Lyon.
Mathéo On est pas contre casser les magasins du centre-ville mais l’objectif du jour était d’attaquer le congrès du FN. On était nombreux, le cortège autonome était étoffé, ça aurait pu être chouette mais ça a été un échec.
Zoe Moi, je me suis fait embarquer juste avant la manif : arrestation préventive. Les poulets m’ont amenée dans une grande salle où était installé tout le dispositif de gestion de la manif avec les écrans qui diffusaient la vidéosurveillance en live. J’étais menottée mais je pouvais me balader dans la salle, et j’ai suivi ce qui se passait sur les écrans et via le son des talkies des flics . J’entendais : « Attention ils sont dans telle rue, avancez ! », et ils me disaient : « Tes potes sont dans la merde, ils vont être pris en étau. » Après l’OPJ m’a enfermée dans son bureau et m’a filé des mots croisés, pour patienter jusqu’à la fin de la manif.
Côme C’était le début de la GALE, on voulait être un peu la vitrine de l’antifascisme à Lyon, et on était les seuls à communiquer publiquement, parce que les autres autonomes ne communiquaient pas. Du coup tout le monde a dit que c’était la GALE qui avait organisé ces émeutes, et tout le monde nous a craché dessus !
Intermède sport : cardio et streefight !
Zede Pendant toute une période, on allait très souvent se balader dans le Vieux Lyon le samedi, en espérant tomber sur des bandes de fafs pour leur taper dessus, leur faire comprendre qu’ils sont en sécurité nulle part et qu’ils ne devraient pas exister ! C’était comme des sortes de maraude, qu’on appelait des chasses. Souvent on en trouvait en train de manger une glace et en général, des sympathisants de la GALE un peu cramés commençaient direct à sortir leur matraque en gueulant : « Y a des fa, y a des fa ». Forcément, le truc qu’on voulait discretos se transformait en un énorme esclandre au milieu des touristes où ça se gueulait dessus, ça se donnait des coups, puis on finissait par détaler quand la BAC arrivait. On rentrait bien contents en se disant : « On a chopé machin, on a défoncé machine. »
Lucas Une fois, après une manif, on apprend qu’il y a une dizaine de fafs à Foch24, on était une petite quinzaine alors on décide de foncer : on arrive super vénères sur place, un pote part direct en trombe avec sa béquille pour leur sauter dessus, on se met à courir derrière lui, mais en approchant, on découvre qu’en fait, ils sont trente, ils sont immenses, ils sont hyper musclés, ils sont tous torse nu. Ils ont des chaînes, des machettes, des couteaux et ils sont tous en ligne. Quand ils nous voient, ils craquent un fumi et nous foncent dessus en hurlant comme des Vikings ! Là on stoppe, je me retourne et me rends compte qu’on est plus que six, et qu’on va se faire massacrer. « Vas-y on se barre ! », gueule un pote et on se met à courir le plus vite qu’on peut dans l’autre sens. J’entendais les chaînes claquer derrière moi pendant que je courais, ils étaient vraiment à deux doigts de m’attraper, ils nous hurlaient dessus en italien — on a pu vérifier après que certains chefs de CasaPound25 étaient venus de Rome pour une réunion ce week-end-là, à Lyon. Je parle italien alors je comprenais leurs insultes : « Va-t’en antifa, t’es une bête, un animal, on va t’égorger, espèce de pédale ! » Au final, on a réussi à se réfugier dans une allée, cachés derrière des portes, s’ils nous avaient trouvés, on serait morts. On s’est vraiment cru dans un délire de film d’horreur de psychopathes, j’ai jamais eu autant peur de toute ma vie.
Côme Il y a plusieurs années, on a fait une descente au Dikkenek, un bar de la Croix-Rousse, le patron nous avait appelés à l’aide genre « J’ai plein de fachos, il y a des discours racistes, je sais pas quoi faire ». C’était une époque où les fafs chassaient beaucoup à Croix-Rousse et ça faisait plusieurs fois qu’on arrivait pas à les choper. Là, on avait une adresse ! Alors on a débarqué à quinze dans le bar, on a allumé tous les fafs dedans, mais des clients du bar se sont pris du gaz lacrymogène et des éclats de verres qui volaient. Ils ont eu super peur. On a blessé pas mal de fafs et on s’est barrés, contents, genre « Ouais, on les a éclatés ! » et le bar a dû fermer pendant une semaine à cause des dégâts. Mais au fur et à mesure, en se refaisant l’histoire, on s’est dit qu’on éviterait de recommencer des trucs comme ça. On a un peu trop abusé, ça aurait pu être très grave, et on en est pas à vouloir tuer quelqu’un. On voulait juste leur dire : « Vous n’avez rien à faire ici, venez pas intimider et agresser. »
Lucas Je n’ai aucun honneur dans la bagarre, alors franchement défoncer un faf à dix contre un, je le fais sans souci. Mais je ne vais pas faire des écrasements de tête, je vais essayer d’éviter de toucher le visage, je n’ai pas envie de les rendre tétraplégiques, ni de les tuer, quoi !
Yasmine Je suis une nerveuse, une vénère qui peut monter vraiment vite ! Mais ce qui me sauve, c’est mon côté rationnel. Dans les situations un peu chaudes, je pense à mes parents. C’est moi qui gère pas mal de trucs pour eux, comme la paperasse administrative, et qui aide mon père malade. Alors ça me limite. Si j’avais une autre situation, si je faisais partie d’une autre classe sociale, je serais une folle !
Zoe C’est pas que j’aime particulièrement me battre, mais en tant que femme, je suis obligée. Je fais beaucoup d’arts martiaux, c’est un outil que j’utilise et avec lequel je suis à l’aise.
Nabilla Je fais de la boxe, des sports de combat, mais je me bats très peu. Je ne suis jamais dans une confrontation vraiment physique avec les gens, sauf en dernier recours. Après, il y a aussi toute une autre catégorie de violences, qui ne laissent pas de marque, mais qui peuvent être très humiliantes : les insultes et tout ce qui est psychologique, ça peut être ultra violent aussi et pire que des coups.
Lucas Ça m’est déjà arrivé de traiter les fafs de sales pédés, alors que je suis moi-même pédé. J’ai déjà traité un faf de sale pute alors que je respecte les putes, et je dis tout le temps « Bande d’enculés ». Je sais que c’est pas ouf, mais quand t’as la rage, t’as envie de les blesser, de les humilier, et en vrai, les insultes safe, ça ne blesse pas les fafs, alors tu utilises le langage qui leur fait peur et qui les humilie. Après ce que je préfère, c’est quand on va défoncer un faf et que je vais lui dire : « Tu vois, tu t’es fait enculer par un pédé ! »
Zoe La violence est proportionnelle à ce qu’on a en face. Dans les années à venir, s’il y a des fafs dans la rue avec des flingues, moi je serai armée et je serai prête aussi ! Mais là, tout de suite, je ne vais pas aller buter un faf ou un flic, autant mes potes comprendraient, autant l’action ne serait pas acceptée par l’opinion publique et on serait vite catalogués comme des fous extrémistes.
Prendre la tête du cortège
Lucas En 2016 arrive la loi Travail26, j’ai alors 16 ans, je suis au lycée et je commence à m’organiser avec des personnes de mon âge : blocage de lycées, préparation de manifs dans les squats — tout le matériel était là-bas — soirées de soutien contre la répression. Les squats à l’époque, c’était l’Oblik, le Tutu, Chez Tony… C’est à partir de ce moment-là que j’ai rencontré des personnes que ma sœur ne connaissait pas, qui n’étaient pas juste des antifas, et que j’ai découvert les luttes queers, ça parlait de monter des groupes d’autodéfense LGBT. Bref, je commence mes propres bails, et je ne suis plus juste le petit frère.
Zede J’avais 20 ou 21 ans, j’habitais pas encore à Lyon et je vivais chez mes parents dans une autre grande ville étudiante. J’étais en deuxième année de licence d’arts du spectacle et je cherchais quelque chose d’intéressant.Alors je participaisà tous les trucs possibles et imaginables : des réunions avec des rouges soi-disants antiautoritaires mais complètement fous aux dreadeux qui se prenaient pour des gourous avec des discours ésotériques perchés. Je traînais toujours avec une pote hippisante qui revenait de la ZAD et puis j’ai rencontré quelqu’un avec qui je suis restée quatre ans : on avait les mêmes idées. Alors, pendant le mouvement loi Travail, avec d’autres gens de la fac qui traînaient aussi dans des squats, on a constitué un petit noyau.
Lucas En vérité, moi lycéen, je ne comprenais même pas exactement ce que la loi Travail allait changer, je voyais juste que c’était une loi de merde de plus.
Zede À l’époque, on était plus de mille en assemblée générale dans l’amphi de la fac où j’étais ! Ça me paraissait énorme donc je suivais les décisions prises par l’AG, parce que je trouvais notre avis plus important et légitime que celui d’un État qui ne voulait pas reculer sur des décisions complètement antisociales. J’étais encore dans une gamberge réformiste, à penser qu’en manifestant, on pouvait gagner des acquis sociaux.
Lucas J’y ai cru de ouf ! Tous les secteurs étaient mobilisés, on était hyper nombreux sur toutes les manifestations, on faisait tout le temps de la politique, j’avais l’impression que tout le monde avait engagé sa vie. Il y avait plein d’expérimentations, de formes nouvelles, et une joie folle ! Tous les soirs, on sortait en ville : je me souviens de la manif sauvage qui est allée au collège Truffaut27, les grilles ont été forcées et on est rentrés. J’avais cours le lendemain mais je passais la nuit à squatter ce lieu avec deux cents personnes, c’était ouf, ce mouvement a été vraiment mon passage à l’âge adulte ! T’avais Nuit Debout aussi ! Nuit Debout, c’était ouf aussi !
Zede Nuit Debout c’était bien pratique parce que c’était l’endroit où finissaient les manifs et ça permettait de se disperser et de se cacher dans la foule. Et puis à Nuit Debout, il y avait une espèce de ritournelle motivante qui disait : « On va pas lâcher, on va pas lâcher. » Et sans concertation, plein de petites initiatives foutaient le zbeul et débordaient les flics, ce qui a donné des moments stylés
Lucas On avait monté la « Coordination lycéenne lyonnaise ». On se retrouvait tous les mercredis à une trentaine et on organisait les prochains blocus et regroupements par zones géographiques. Avec tous les lycéens de l’agglomération, on se rejoignait en amont de la manif déclarée par les centrales syndicales. Donc on arrivait à la grosse manif en cortège, déjà chauds et vénères, avec le sentiment que c’était nous qui avions lancé ce mouvement social contre la loi Travail. Du coup, ça nous paraissait évident que c’était nous qui allions décider de tout, il n’était pas question que des vieux parlent à notre place, alors on s’est mis devant, en tête de cortège.
Quand une des premières manifs où on était devant est arrivée à son terme officiel, les flics nous ont dit : « C’est bon, on s’arrête, la manif est finie », on s’est tous regardés et on s’est dit : « Bah non, c’est pas fini ! » On a continué en sauvage et on a été suivis, c’était un sentiment de force hyper important, on se disait : « On est les lycéens vénères, on dépasse les cadres, on se laisse rien imposer par personne, c’est mort, c’est nous on décide. » À partir de ce jour là, il était évident qu’on serait toujours devant dans les manifs, pour faire le cortège de tête.
Zoe J’ai rejoint le cortège de tête parce que ça permettait à chacun de se dire qu’il y avait des possibilités. Ça donnait une légitimité à tout le monde de prendre des initiatives sans qu’il n’y ait besoin d’être encarté ou d’avoir un chef — bref, c’était un cortège plus horizontal.
Yasmine En Italie, je n’avais pas trop connu ce genre de cortège, mais ça m’a vite parlé : « T’as envie de faire un truc ? Fais-le ! » Et personne te casse la tête ! En vrai, il y avait aussi de la réflexion, toutes les semaines, il y avait des réunions pour organiser ce cortège, donc ça avait un vrai sens politique et j’ai trouvé ma place dedans.
Zede Pendant les manifs, j’aimais bien faire des tags, mettre des messages plus ou moins politiques, on écrivait des trucs qui nous faisaient rire comme « Ni gauche, ni droite, nitroglycérine ».
Lucas Aujourd’hui, le cortège de tête, c’est une institution limite mainstream et on se dit qu’il faut faire autre chose, mais à l’époque, c’était une nouvelle pratique qui sortait complètement de nulle part.
Zoe Ça a permis l’expression d’une manière de lutter qui a fait peur à l’État. Après il y a eu la bascule de la violence des flics de plus en plus importante avec, entre autres, la formation des grandes nasses à ciel ouvert.
Zede Un jour, on occupait un Macdo en grève. On était en mode assis, passifs, et puis les flics sont arrivés : des CRS sont rentrés par l’entrée des clients et la BAC par l’entrée de service, là où j’étais. Comme c’était un petit coin sombre, où il n’y avait pas de caméras, ils en ont profité, tout le monde a eu son petit lot de saloperies : un baqueux m’a traînée par terre en me disant : « Lève-toi ! », un autre m’a chopée par les mains et ensemble ils m’ont balancée la tête la première dans les escaliers. Heureusement, il y avait un type au bout qui a empêché que je m’écrase le crâne contre le mur en bas, mais ils m’ont vraiment fait voler. D’autres se sont fait tabasser, coups de pied, coups de poing, ils sont sortis en sang. J’ai été vraiment choquée parce que c’était différent des moments de répression plus large, où ils sont plus ou moins paniqués par le mouvement alors ils envoient du gaz et tapent un peu dans le tas. Là, j’avais l’impression que la répression était dirigée contre moi, que j’étais leur jouet, et qu’ils avaient du plaisir à me faire mal. C’est à partir de ce moment que j’ai arrêté de casser les couilles aux casseurs dans les manifs. Comme les flics faisaient ce qu’ils voulaient alors nous aussi on pouvait se lâcher ! Très rapidement, j’ai fini par me cagouler et casser des trucs. J’ai d’abord essayé de caillasser la BAC mais je n’étais pas très bonne lanceuse, alors j’ai plutôt apporté des cailloux aux autres. La première fois que j’ai voulu casser une banque, j’avais pris un marteau brise-vitre dans un bus, mais en fait, j’avais pas assez de force et ça cassait pas, du coup on a dû s’y mettre à plusieurs et je me suis dit : « Putain fait chier, j’ai pas de force », un coup à l’ego !
Lucas Les premiers trucs de casse que j’ai faits, c’était en manif : t’es en première ligne, tout le monde lance des pavés, des bouteilles, alors tu ramasses et tu jettes aussi ! Et puis tu prends des pierres, tu pètes des abribus, tu fous le feu à des poubelles ! Mais je n’ai jamais été dans un délire hyper déter’ tout seul, de prévoir d’avoir un marteau sur moi par exemple. Par contre, quand je vois des gens qui se mettent à attaquer une banque, je vais me positionner pour les cacher.
Zede Caillasser des banques, je trouvais que ça avait du sens à l’époque, maintenant, un peu moins. Le sens politique pour moi vient de l’objectif qu’on s’est donné à la base : si on a décidé de faire une manif sauvage, il ne faut pas que notre objectif dévie. Alors je vois plus d’intérêt à tenir les flics à distance en leur balançant des trucs que défoncer la première agence immobilière qui passe. Même si j’avoue qu’un abribus qui éclate, c’est quand même joli !
Mathéo La violence, certains la réduisent à un truc d’ado, à un besoin de sentir de l’adrénaline, moi je trouve que ça peut aider aussi : briser une vitre, ça peut être catalyseur d’énergie, d’émotion, c’est toute la colère contre ce monde qui s’introduit dans un geste. On ne change pas le monde en cassant une banque, mais à un moment donné, ça fait du bien ! Nos corps subissent la société, ils sont façonnés par la société, il faut qu’on les utilise aussi pour s’en libérer !
Recrute et récup’
Lucas On était une force lycéenne importante et très vite, dans ce cortège de tête, toutes les personnes de la GALE que j’avais connues quand j’étais encore le petit frère nous ont rejoints, et puis il y avait aussi des totos28, des gens de la JC29, du NPA, de la CGA, de la CGT… C’était un mélange un peu fou, on rencontrait plein de militants, certains nous approchaient avec des formes de séduction. Par exemple, un gars de la JC est venu nous voir, en mode : « Je te montre mon charisme, je suis quelqu’un d’important et je m’intéresse à toi parce que j’ai compris que tu avais un rôle important dans les lycées ». Et il nous a proposé de venir à une réunion avec les JC : « Si ça vous dit, vous pouvez rejoindre notre organisation. »
Yasmine C’est vrai que c’était un putain de bordel dans ce cortège ! En plus, on était plein à être en sciences politiques et on commençait à voir les divergences stratégiques sur le terrain. Mais je n’aimais pas me prendre la tête et faire la troll à m’embrouiller en soulignant les désaccords, je préférais parler à tout le monde, j’étais pote avec des gens de la CGA, par exemple, ou de la JC…
Lucas Une fois, à la fin d’une AG de la fac Lyon 2, des personnes dont des gens de la Caisse de So30 sont venues nous parler, et là un pote de la CGA nous a avertis : « Tu vois, eux, c’est les totos, ils ont tous 30 ans. Observe-les, ils s’installent à des endroits différents de l’AG, ils font comme s’ils ne se connaissaient pas, mais en fait, ils se connaissent tous, et ils tentent de manipuler l’assemblée, il faut vous méfier d’eux, ils vont vouloir vous envoyer au charbon. » Quelques jours après, dans une manif avec le lycée où on commençait à défiler sur les trottoirs, un de ces mecs de 30 ans est venu me voir pour me dire de prendre la route, que manifester sur le trottoir ne servait à rien. Et là je suis parti en vrille, je l’ai montré du doigt en déclarant : « Toi, je sais qui vous êtes, vous êtes des totos, vous avez tous 30 ans, vous voulez nous manipuler ! » Truc de ouf quand j’y repense aujourd’hui ! Mais ça a participé à la création du mythe des totos.
Zede J’avais lu tous les trucs du Comité invisible31, Lundimatin32, que je trouvais un peu esthétisants et je retrouvais ça chez des gens qui étaient dans le mouvement social : on les appelait les « Appellos33 ». Ils distribuaient des tracts genre « nous brûlerons les mains du capitalisme ». Il y avait un truc que je trouvais prétentieux avec des slogans comme « Une belle émeute vaudra mieux qu’un mouvement social réussi. » Je les ai vus en émeutes et en AG, c’était surtout des trentenaires avec un comportement de mâles bourgeois se sentant à l’avant-garde. Ça leur donnait une espèce de charisme, donc on avait plus de facilités à les suivre eux plutôt qu’un shlag cramé qui crie : « On va tout brûler. » Ils étaient souvent en fin de manif, en mode vénères, à en vouloir encore plus, et à essayer d’entraîner des gens beaucoup plus jeunes qu’eux et moins expérimentés à la répression, à les inciter à faire de nouvelles manifs sauvages, sous peine d’être taxés de lâches ou de je ne sais pas quoi. Souvent les plus jeunes se retrouvaient en gardav sans savoir comment réagir, alors qu’eux ne se faisaient pas choper parce qu’ils avaient l’habitude des émeutes et je trouvais que c’était pas juste. Ces gars me dégoûtent toujours.
Lucas Au final, je me suis rapproché des totos. Même si, bien évidemment, dans cette espèce de jeu politique militant ils étaient aussi dans des logiques de recrutement, je pense que le fait qu’y avait pas ce truc de chapelle, « mon organisation, mon drapeau », avec le temps, ça m’a moins choqué.
Zede À l’époque, je n’étais pas très excitée par le côté feu d’artifice, grosse explosion et grand soir. Aujourd’hui, je ne pense pas que ce soit une bonne chose mais j’ai fini par apprécier la pyro, je trouve ça beau et je sens que ça excite par moments mon agressivité, ma détermination, je sens que ça a de l’influence sur ma manière de me comporter en manif, en émeute, que le moteur vient plus de ça que d’idées plus concrètes.
Perdre la tête…
Lucas C’est la complémentarité des manières de lutter qui a fait qu’il était ouf ce mouvement social de 2016 : on allait sur les piquets soutenir les grévistes, les syndicalistes venaient au lycée et une fois, ils nous ont aidés quand des camarades se sont fait arrêter. On était tous ensemble, même quand je me retrouvais avec des baba-cools, c’était OK parce que j’avais l’impression que la France entière était dans la rue. Donc ils pouvaient faire leurs trucs de babos qui habituellement me rendaient fou, et nous on pouvait faire nos trucs de vénères, il n’y avait pas de problème et on pouvait même s’entraider. Pour moi, le mouvement a commencé à se terminer quand les gens n’ont plus accepté qu’il y ait des formes d’organisation différentes et que certains ont eu la volonté d’avoir un monopole stratégique.
Zede Là où j’étais, il y avait beaucoup de piquets de grève, de syndicats mobilisés pour la grève générale et tout le monde y trouvait un sens collectif, même s’il y avait quand même des querelles entre cégétistes et autonomes parce qu’il fallait bien se taper dessus de temps en temps. Mais tout le monde allait dans le sens de : « Cette loi, c’est de la merde. Il ne faut pas que ça passe. » Et pourtant elle est passée.
Lucas Quand le mouvement s’est terminé, je suis parti en dépression. Je n’ai pas été diagnostiqué mais avec le recul, quand je vois l’état dans lequel j’étais, c’était n’importe quoi : je fumais énormément de shit, j’étais gazé toute la journée, je n’allais plus en cours, j’étais en décrochage scolaire total, c’était horrible. Je venais de connaître les quatre mois les plus intenses et les plus fous de ma vie, la période où je me suis senti le plus vivant, et là, on me disait de retourner à une vie normale : se lever tous les matins, aller au lycée et je ne l’ai pas accepté. Ça a pété avec mes parents, j’avais 17 ans, je suis parti de chez eux pour vivre en squat, parce que j’avais envie de continuer à vivre ce truc. Dans les mouvements sociaux suivants, je recherchais tout le temps les mêmes sensations mais je n’ai jamais réussi à les ressentir de nouveau. Aujourd’hui, je cours encore après et j’ai toujours la nostalgie de la loi Travail.
Zede On était tous un peu fanés par cette défaite cuisante. C’était une grosse gueule de bois parce qu’on a tenu trois mois à fond, sans dormir, à tout le temps réfléchir à ce qu’on allait faire comme connerie pour les faire chier, à quel tag débile on allait inscrire… L’été, je suis partie travailler en maison de retraite dans le village de mes grands-parents, c’était pas rigolo mais ça m’a permis de décrocher.
Yasmine J’avais mis beaucoup du mien : c’était ma première année, je voulais faire plein de choses, j’étais dans les luttes pour les sans-papiers, j’étais à la fac, j’étais partout donc l’été après la défaite, il y a eu une gueule de bois de ouf, j’étais morte ! À partir de ce moment-là, j’ai accepté le fait de ne pas tout faire, de ne plus m’engager de partout, de ne pas culpabiliser genre « Putain t’es une merde, t’as pas été à telle réunion ! » Ça m’a permis de dire stop et de prioriser en voulant rentrer dans un groupeantifa, alors je me suis mise à fond dans la GALE !
Zoe C’est toujours comme ça la lutte, tu prends un ascenseur émotionnel, t’es en haut, et après tu descends, alors il faut gérer. L’aspirine pour moi, ça a été de m’implanter dans un quartier, de faire un festival antifa, d’inviter des gens à faire des conférences, ces petits trucs pour conscientiser les gens et créer des espaces de solidarité, des choses où tu kiffes sur le moment.
Lucas Après ce mouvement, je suis devenu un militant et devenir un militant, c’est chiant ! Tu deviens moribond, aigri, alors que pendant la loi Travail, j’étais juste à fond : on partait avec nos potes le matin bloquer le lycée, la journée on faisait des AG et des manifs, et le soir, on finissait par faire la fête à Nuit Debout. On ne savait pas ce qu’on allait faire ni le lendemain, ni de nos vies, on était pleinement engagés au présent. Alors que maintenant, je me pose des questions, je réfléchis stratégie tout le temps : « Est-ce que ça compte, cette manif ? Est-ce que c’est vraiment intéressant ? » J’ai été matrixé, formaté par le monde militant.
Et du coup, il faut tout le temps chercher à détruire ce militantisme, ce qui ne veut pas dire sortir de la politique, mais sortir de cette posture presque carriériste qui te fait un carré dans ta tête et où tu vois tout par le même prisme, où tes idées sont très arrêtées, où t’es moins ouvert à la rencontre… Bref, t’y crois moins, donc ça laisse peu de place pour être étonné, pour être touché par des nouvelles choses… C’est un peu la malédiction de la gauche, le militantisme, c’est le truc qui nous poursuit tous et qu’il faut essayer de détruire, mais qui nous rattrape tout le temps.
…et le cortège
Lucas À la fin du mouvement loi Travail, les centrales syndicales ont essayé de remettre un rapport de force avec les lycéens pour nous empêcher de prendre les têtes de cortège. Mais nous, on y croyait vraiment, la révolution, c’était maintenant, alors on voulait pas les laisser reprendre ce truc-là.
Mathéo Il y a une lutte interne pour avoir la première banderole, l’hégémonie, parce que c’est cool d’être devant, d’avoir ses propres slogans, pour diffuser son message, etc. Et en même temps, je comprends que la CGT considère qu’ils sont les leaders du mouvement social et donc qu’ils doivent tenir la tête et décider comment ça doit se passer. Côme On comprend que la CGT veuille être devant, d’ailleurs dans la plupart des manifs, on les laisse faire, parce que ce n’est pas le moment ou qu’on a pas les forces. Mais des fois, pour nous, c’est très important d’être devant, comme lors des manifs contre la loi Sécurité Globale34, une loi qui touche tout le monde, que tu travailles ou que tu ne travailles pas, où le syndicat doit être juste un allié et laisser les gens devant faire un bloc.
Lucas Le 1er mai 2021, c’était très tendu dès le début avec certaines personnes du service d’ordre des syndicats avec qui on ne s’aime pas, parce qu’à chaque fois, il y a cette bataille pour la tête… Bref, la manif a démarré et on a formé un gros cortège en tête. Très vite on a vu que le service d’ordre des centrales syndicales créait des écarts entre eux et le cortège de tête, mais des gros écarts ! À un moment, on a dépassé un croisement, ils se sont arrêtés au feu laissant une nouvelle fois un espace, et là, bim, les flics se sont insérés dans cet espace depuis les deux côtés du croisement et aussi par devant, on était pris en étau, tirs de LBD, gaz, matraques, sans pouvoir fuir, complètement bloqués des trois côtés, donc on s’est juste fait éclater sous les regards du cortège de la CGT et de son service d’ordre qui n’a pas bougé. Et là, dans nos têtes, ça a débloqué ! Une fois qu’on a fini de se faire éclater, on est allé les voir pour leur gueuler dessus : « Mais vous êtes des traîtres ou quoi ? Pourquoi vous faites ça ? On vous demande pas de venir forcément nous aider, mais dites quelque chose au lieu de chanter vos vieux chants pendant qu’on se fait défoncer ! » Le ton est monté, les insultes ont fusé et au bout d’un moment, les coups sont partis. Ça a été une grosse bagarre avec le service d’ordre, il y la JC qui en a profité pour venir mettre des coups, ça a répliqué, c’était terrible !
Mathéo Quand on en arrive à se foutre sur la gueule avec les mecs de la CGT, moi, ça me gonfle. Ils sont cons, on le sait, mais je trouvais que ce conflit prenait trop de place. On aurait dû s’en foutre et se concentrer sur autre chose : construire des amitiés avec d’autres groupes en Europe, se renforcer, militer sur la Guillotière, sur la construction de l’ECG35…
Lucas Chacun veut imposer son rapport de force, c’est la petite guéguerre habituelle, on le sait, c’est un peu chiant. Mais là, on s’était fait défoncer et ça arrangeait la CGT qui reprenait la tête, c’était le truc de trop Moi, je l’ai vraiment vécu comme une trahison délibérée, volontaire ! Et ce qui a fait que j’étais hyper énervé, c’est que j’ai senti une vraie organisation de la police avec le service d’ordre de la CGT pour que ça se passe comme ça ! Peut-être que je me trompe, mais bon…
Zoe Certains syndicats pensent que la manif est à eux. Moi, je pense que le droit de manifester appartient à tout le monde ! Chacun ses moyens, chacun sa manière de lutter en manif, t’as pas à nous dire : « Fais pas ci, fais pas ça. » Je ne vais pas critiquer ton cortège syndical avec tes chefs, alors viens pas critiquer le cortège de tête !
Lucas Il y a eu beaucoup de textes qui ont été faits sur cette baston-là, du coup ça a été compliqué pour nous de rejoindre les mouvements de travailleurs, parce que si t’étais étiqueté GALE, les gens se souvenaient de cette histoire. Ça a enclenché aussi des embrouilles avec d’autres groupes, notamment avec la JC et la Jeune Garde, avec lesquels il y a eu encore des bagarres. Avec toujours les mêmes conséquences politiques de rupture, de conflits qui augmentent en intensité…
Depuis le cortège de la CGT… (regard extérieur)
Damien, militant de la CGT LYON Je suis arrivé à Lyon en 2013, le premier militant antifasciste que j’ai rencontré était membre de la GALE. Il disait : « Nous, on tient la Guillotière, tu vois ! » Et je pense que c’est de salubrité publique : s’il n’y a pas d’incursion des fafs ou de ratonnades à la Guill’ c’est en partie grâce à eux ! Le cortège de tête, c’était plutôt bien, ça mettait de l’ambiance ! Moi je suis peut-être un peu plus jeune que la moyenne d’âge de la CGT, et les manifs « ballons saucisses », il y a des jours c’est sympa, mais c’est vrai que quand on est dans un mouvement social, on aimerait bien qu’il se passe quelque chose de plus. Moi je n’ai jamais eu de problème avec un peu de casse, je le fais pas personnellement, mais, ça ne me choque pas. Du coup, avec quelques copains, comme on connaissait certaines personnes via les milieux militants, on avait mis en place un « service de prévention et de protection » au lieu d’un service d’ordre. On était quelques militants CGT éparpillés dans le cortège de tête, et il y avait un dialogue qui se créait, on se voyait après les manifs, les gens nous connaissaient et on essayait de faire en sorte que ça se passe pour le mieux, avec chacun ses pratiques. Une fois, après des altercations, les flics ont essayé d’attraper un mec, un camarade s’est accroché au gars qu’ils voulaient exfiltrer et nous on s’est opposés physiquement pour qu’ils ne l’embarquent pas. Et puis il y a eu quelques petites embrouilles avec le service d’ordre de la CGT, donc là on s’interposait, on essayait de faire calmer les esprits, et il n’y a pas eu de gros affrontements comme à Paris ou à Marseille et je pense que c’est en partie grâce à ces quelques camarades du « service de prévention et de protection ».
Le 1er mai 2021, ça bastonnait pas mal, il y a eu des attaques de flics sur le cortège de tête, les syndicats sont juste restés dans leur syndicale. C’était juste une inertie. Je ne crois pas à une version paranoïaque complotiste qui dit que les flics et la CGT étaient de mèche. Après, il y a un truc aussi, si tu vas casser des abribus et que tu comptes sur la CGT pour te protéger, c’est pas un bon calcul, c’est pas notre boulot non plus ! S’il y a une charge de CRS tu veux qu’on fasse quoi ? Qu’on leur charge la gueule ? Mais nous on est à visage découvert, la plupart des mecs qui tiennent la banderole devant, c’est des élus syndicaux et tu ne peux pas aller devant le patron défendre les salariés alors que la veille t’es passé à la télé en train de tabasser les flics ! Personne ne va te prendre au sérieux, les salariés te prendront pas au sérieux, tu seras dégagé tout de suite. Pour moi, s’attaquer à une organisation ouvrière, c’est une ligne à ne pas franchir, on est dans le mouvement social, on a les mêmes ennemis : le capitalisme, le patronat, la bourgeoisie… On peut ne pas être d’accord, tu t’engueules et avec la tension qui monte, les gens sont chauds, il y a une baffe qui part : OK ça arrive…
Mais là, se bastonner vraiment, et surtout revendiquer derrière sur internet d’avoir attaqué la CGT, ils sont complètement à côté de la plaque, ça nuit au mouvement, ça leur nuit à eux, ça nuit à tout le monde ! Pour moi, c’est une vraie faute politique ! Leur texte, en gros, disait que la CGT était avec le patronat et le gouvernement, là je doute que ces mecs voient ce qu’on se prend dans la gueule ! La répression qu’on subit dans nos carrières, dans nos boîtes, les sanctions, les coups de pression, etc. Et je sais que ces mecs-là, des fois ils se font attraper, et ils subissent de la répression judiciaire dure, mais nous au quotidien on prend cher quand même ! En plus, ça a mis un point final au respect des différentes stratégies qu’on avait essayé de construire pendant plusieurs années. Et moi, j’ai eu l’air d’un con vis-à-vis de mes camarades à qui j’arrêtais pas de dire : « Mais non c’est pas si pire, il y a moyen de discuter avec eux. » Après ça, c’était terminé. Alors attention, je ne dis pas que c’est parfait à la Cégète, et je trouve ça vraiment dommage parce que mine de rien, je pense que la GALE et les antifas en général apportent quelque chose. Mais faudrait qu’ils évoluent un peu, qu’ils arrivent à ne pas se couper des masses, c’est un gros problème d’être dans un microcosme et d’être coupés du mouvement social, du mouvement ouvrier, des travailleurs quoi ! Parce que les gens ne comprennent pas ce qu’ils font et du coup ils s’isolent de plus en plus et c’est bien dommage.
Intermède bricolage : ciment et peinture
Côme C’était en avril 2018 : on est arrivés avec des seaux, du ciment, des parpaings et on a muré l’entrée du local du Bastion social36. C’était une grosse galère, mais c’était vraiment très cool parce que c’était en même temps radical, illégal — on essaie de sortir des clous de tout ce que le gouvernement nous autorise comme lutte — et surtout très rigolo !
Sur cette action, il n’y a pas eu violence et malgré ça, il ya eu une répression comme si on avait attaqué des personnes, comme si on les avait tapées.
Zoe Quelques mois plus tard, il y a eu des perquisitions violentes où ça débarque chez toi à six du mat et où tu te fais braquer au réveil avant d’être emmenée en garde à vue. Et après, t’es sous contrôle judiciaire, accusée d’association de malfaiteurs, de dégradations et d’outrages. Outrage parce qu’il y avait ACAB tagué sur un des murs à côté du Bastion social.
Côme Après le murage du Bastion social, un autre groupe37 a décidé en hommage et en soutien aux gens inculpés d’attaquer la Traboule, le local des identitaires. Ils étaient déguisés en Casa de Papel avec le masque et la combinaison. Ils ont fait une vidéo de leur action !
Mathéo En plus, le murage, ça a fait un pied de nez au collectif Fermons les locaux fascistes38 avec lequel on était en froid. Nous, on s’est dit : « Allez, on va vraiment le fermer. »
Côme On a hâte d’assister au procès39, j’espère qu’on va pouvoir rigoler, parce qu’il n’y a eu ni mort ni blessé et c’était drôle. Et puis, c’est quand même un local fasciste, pas la boulangerie du coin.
SIAMO (presque) TUTTI
Lucas Pour moi, être militant antifasciste aujourd’hui, c’est lutter contre les groupuscules d’extrême droite dans la rue, les partis politiques comme le FN et des représentants comme Zemmour. Mais ce n’est pas tout, c’est aussi s’attaquer à des partis beaucoup plus traditionnels, que ce soit LR ou certaines politiques de LREM ou du PS qui participent à la fascisation de la société. On le voit bien aujourd’hui avec Macron. Et dans le même temps, être antifasciste, c’est également lutter contre des discriminations spécifiques, que ce soit le racisme, particulièrement l’islamophobie, l’antisémitisme, mais aussi les questions de genre, d’orientation sexuelle, etc.
Mathéo Au début de la GALE, on était dans le CV69, où on fréquentait autant des stalinistes que des proches du PS. Ça faisait un peu mauvais genre je trouve, mais bref, à l’époque, le militantisme du CV69, c’était beaucoup de victimisation. Ils faisaient un décompte des ITT suite aux violences de l’extrême droite, on trouvait ça un peu glauque, ça instillait de la crainte alors que nous, on se sentait d’aller se cogner, d’utiliser nos corps pour que la peur change de camp. Et aussi, on avait un côté DIY et un discours anti-police qui ne leur plaisait pas.
Zoe Je pense qu’au CV69, ils croyaient encore en la justice, à l’utopie de la démocratie ! Mais le 49.3 nous le montre aujourd’hui, on n’est pas en démocratie, moi je n’y crois pas du tout à ce jeu politique. Mathéo Dire au préfet : « Regardez les fascistes, ils sont méchants ! », on trouvait ça un un peu ridicule alors que c’est le même mec qui enferme les gamins sans-papiers ! Je comprends qu’il y ait des gens qui fassent ce genre de démarche, mais moi je faisais déjà tellement de concessions dans mon travail, dans mes choix de consommation — on est tellement dépossédés de nos vies dans cette société — que je n’avais pas envie de ça dans mon militantisme.
Zoe Ce n’est pas une opposition radicale, je ne les vois pas comme des ennemis politiques. Quand le PCF ou d’autres groupes plus institutionnels se font attaquer par les fafs, on est là en soutien !
Mathéo À l’époque, par exemple, au CV69, les gens étaient un peu sur une vieille gauche laïcarde et ils refusaient le terme « islamophobie ». Nous on ne voulait pas en arriver à devoir faire des concessions comme ça, alors on a pris le large.
Côme On a réessayé quelques mois en 2017, 2018, quand le CV69 s’est transformé en Fermons les locaux fascistes. Il devait y avoir une manif contre le Bastion social et en réunion, on nous prenait de haut, et on se prenait des insinuations genre « Faut pas que ça soit comme en 2014 »40. Et puis on a fait une manif avec eux où ils n’ont pas respecté les mots d’ordre qu’on avait établis en réunion. Du coup, on a laissé tomber. C’est au même moment que la Jeune Garde a été créée par des potes du milieu militant lyonnais. Des gens qu’on voyait sur les concerts, avec qui on a vécu des trucs chauds — des descentes, des affrontements avec les fafs pendant les Manifs pour tous… Mais dans leur texte de formation, ils affirmaient, par exemple, qu’il n’y avait pas eu de réponse à la présence des fafs les dernières années à Lyon ! Genre tout ce que nous, on a risqué pendant cinq ans — les blessures, les gardes à vue, la répression — ça n’existait pas ! Bref, ils nous chiaient dessus et on s’est dit : « En fait, c’est un groupe qui veut se faire en rupture avec nous. »
« Il y a deux antifascismes différents »
Yasmine À l’époque de la création de la JG, on était beaucoup de meufs à commencer à produire des textes sur le virilisme dans le milieu antifa, ce truc d’apparence qui nous dérangeait beaucoup. Et dans leur texte de création, ils disaient que leur objectif était justement d’éviter ces clichés pour proposer un nouvel antifascisme, en tout cas une nouvelle stratégie. Mais vas-y, de ouf ! Sauf qu’en fait, dès leur création, ils étaient eux-mêmes à fond dans le folklore antifa, du coup : what the fuck ?
Côme Ils ont foncé à fond dans ce truc ultra viriliste, à faire des photos comme les fafs, genre on fait une pose à dix dans le noir dans une rue avec une description qui dit : « Nous avons chassé les fascistes toute la nuit. » Et faut avouer que ça prenait, les gens kiffaient ! Mais nous, on a fait des textes critiques sur cette vision et là, on s’est fait insulter par tous les pro-JG. Et puis c’est monté au fur et à mesure des critiques, des textes, à chaque manif, il y avait une embrouille, des insultes, des trucs qui se sont accumulés et au bout d’un moment, ça a pété !
Yasmine Encore leur politique de visibilité, de s’afficher, de vouloir prendre les plateaux de télé41, cette volonté de faire masse, pourquoi pas ! Mais il y a des stratégies sur lesquelles on a pas du tout la même approche, comme la dénonciation des cortèges de tête, la dénonciation des personnes qui veulent se masquer par sécurité.
Zoe Ils fonctionnent de manière verticale, avec des chefs et des porte-paroles… Moi, je ne suis pas du tout sur cette ligne-là. Donc on ne peut pas travailler avec eux, dans une manif, s’ils sont présents, on ne sera pas dans le même cortège.
Zede La JG, c’est pas des gens intéressants politiquement, ils sont un peu flous : ils surfent sur des esthétiques de stade, vaguement émeutières, alors qu’en fait, ils travaillent pour les cadres du NPA et de LFI. C’est normal qu’on se tape dessus avec eux parce que c’est des têtes à claques.
Côme Pourtant, il y avait des gens avec qui je m’entendais super bien. Je leur faisais la bise et du jour au lendemain, ça me regardait de travers parce qu’ils étaient proches de la JG. Il y a eu des vraies amitiés qui se sont éteintes. Raphaël, leur porte-parole, était le meilleur pote de Yasmine à la fac, il lui avait offert à son anniversaire un tee-shirt avec marqué « antifasciste » en italien et avait fait floquer le double drapeau antifasciste avec marqué « La GALE ».
Yasmine On allait au stade ensemble, on a fait des concerts ensemble, c’était vraiment quelqu’un que j’appréciais beaucoup et que je respectais, même si politiquement, je voyais bien qu’il y avait déjà des divergences. Notamment pendant la loi Travail, on n’était pas dans la même bande : moi j’étais dans le cortège de tête, lui devant celui du NPA avec le mégaphone. Et pour moi la JG, c’était vraiment une dérive politique de sa part, alors il y a eu rupture. Ça m’a fait chier, mais j’assume pas des potes comme ça. Côme La médiatisation des bagarres qu’il y a eu entre nous, ça nous a presque fait du bien, parce que les gens ont pu dire : « OK, il y a deux antifascismes différents ! » Alors, effectivement, les deux groupes se revendiquent de l’antifascisme, mais on ne porte pas les mêmes valeurs politiques et preuve en est maintenant faite avec leur porte-parole qui s’est présenté aux élections42. Ils vont dans des meetings de Mélenchon, ils appellent au vote, la JGest un groupe soc’ dem’, alors que nous, on représente l’antifascisme autonome. Donc choisis ton camp par rapport à comment t’aimes faire de la politique mais viens pas nous faire chier à dire : « Vous gâchez tout avec votre guerre là. »
Depuis le cortège de la Jeune Garde (regard extérieur)
Gaël Je m’appelle Gaël, j’ai une quarantaine d’années et je travaille dans le secteur de la santé. Depuis 2010, je suis investi dans différentes orgas ou collectifs de Lyon et l’antifascisme a été un des premiers pans dans lequel j’ai milité : j’ai traîné autour des Voraces, groupe emblématique des pentes de la CroixRousse, j’ai rejoint le CV69 via RESF43 que je représentais, puis la CGA. J’ai fait partie du petit groupe qui a créé la GALE, après l’électrochoc de la mort de Clément, j’étais à la réunion à la Plume noire où on cherchait un nom. Mais très rapidement, il y a eu deux ou trois trucs qui m’ont freiné : moi, je ne suis pas dans l’action offensive violente, parce que je ne maîtrise pas. À la GALE, il y avait quand même un sentiment d’être jugé comme ne faisant pas vraiment partie du groupe tant qu’on avait pas fait ses preuves là-dessus. Après c’est le cas dans quasi tous les groupes antifascistes : si on a mis des coups, on a un peu plus de poids. Ensuite, j’ai rapidement eu l’impression que si on était en désaccord sur quelque chose, c’était compliqué de pouvoir l’exprimer ou être entendu.Et puis, il y a eu l’histoire du premier Antifa Fest, organisé en partie par les gens de la GALE. L’affiche du festival avait été dessinée par une personne accusée de viol et quand les organisateurs l’ont appris, ils ont fait le choix de la maintenir en disant : « Les affiches sont tirées. On n’a pas de thunes pour en tirer une deuxième. » Moi ça m’avait fortement gêné, j’étais pour le retrait total et ça avait été dur à faire entendre, ils étaient restés un peu droit dans leurs bottes. Je pense que ça a créé un petit fossé, alors je me suis retiré du groupe quelque temps après, tout en restant quand même bien pote avec certains. J’avais vraiment des amis à la GALE, et ce lien d’amitié et de respect est resté, jusqu’à la création de la JG à laquelle j’ai pris part. Ça a provoqué une vraie rupture avec mes anciens camarades, genre « lui, on nelui parle plus ». C’était en 2018, il y avait une résurgence de la violence d’extrême droite avec des nouveaux locaux qui s’ouvraient. Avec d’anciens militants antifascistes, notamment des Voraces ou d’autres groupes, et des gens comme moiqui étaient passés par la GALE, il y a eu la volonté de faire un nouveau groupe. L’idée, ce n’était pas de se créer contre eux, même s’il est vrai qu’on ne se retrouvait pas dans leur stratégie et leur manière de faire, donc on a voulu essayer autre chose. Le but avec la JG était de recréer une dynamique antifasciste unitaire et pas uniquement libertaire. Il y avait des gens proches du NPA, des gens du PG44, de la CGA… Un mélange un peu bizarre au départ, mais la saucea assez bien pris. On dit toujours qu’il y a deux antifascismes, moi j’en vois trois. Il y a l’antifascisme radical, le milieu autonome, avec les AFA ou la GALE qui font leur taf de leur côté de manière plus ou moins efficace, sans travailler avec les autres. Il y a l’antifascisme républicain avec les partis de gauche ou des associations type SOS Racisme qui font vraiment le côté moral, genre « Le racisme c’est caca, aimons-nous les uns les autres » et qui essaient de faire passer ce message via les voies institutionnelles. Mais moi j’en vois un troisième parce que je pense qu’à la JG, on est un peu entre les deux : on ne cache pas qu’il faut des actions de rue, quitte à être violents, pour mettre la pression sur les fafs. Mais, dans le même temps, il y a tout un travail pour garder un cadre unitaire avec les autres orgas, amener le plus de gens possible sur le terrain de l’antifascisme pour que ça devienne une thématique prise dans toutes les luttes, dans tous les collectifs, syndicats et partis institutionnels.
Pour revenir à la GALE, je trouve très cool d’avoir voulu créer une dynamique antifasciste et autonome. Il y a vraiment eu un boulot respectable qui a été fait, notamment dans le fait de créer des liens avec les luttes intersectionnelles, sur le logement, sur l’ouverture de squats ou sur les migrants. La seule chose stratégique que je regrette, c’est leur volonté de provoquer des émeutes à chaque manif, de penser que foutre le zbeul quoi qu’il arrive va aboutir à quelque chose. Je ne suis pas contre le zbeul, mais je trouve que de le systématiser, sans remise en question, et la victimisation qui en est faite derrière sur la répression, les fait rentrer dans un cercle vicieux. Je sais pas si c’est de la prétention ou le fait de fonctionner en cercle fermé, mais ils pensent toujours que leur stratégie est forcément la bonne, que celle des autres est pourrie et que si la leur ne marche pas, c’est à cause des autres qui n’ont pas compris que la leur était la meilleure. Après, ils font des actions super efficaces — on ne peut pas le leur enlever. Par exemple, le local du Bastion social (ex-GUD) sur les quais de Saône qu’ils ont muré. Mais dans le même temps, notre collectif unitaire Fermons les locaux fascistes faisait son boulot de son côté, il était notamment en contact avec les habitants de l’immeuble. Et quand ils ont fait leur action murage, la porte d’à côté, le local poubelle et compagnie ont aussi été pétés et du coup, il a fallu justifier aux habitants qui se plaignaient de devoir payer les dégâts dans les communs en leur disant : « Oui, mais c’est pas forcément négatif. » Alors leur action était certes hyper réussie, intéressante et quelque part complémentaire avec le travail du collectif unitaire. Mais derrière il y a toujours une non-prise en compte des autres et ils se sont mis pas mal de monde à dos sur Lyon à cause de ça. Quant aux affrontements entre la GALE et la JG, que ce soit lors de la manif du 1er mai avec la CGT ou sur la place Colbert, ça me fait penser à la Grèce, même si évidemment la situation politique n’est pas du tout la même. Au moment d’une possible insurrection où les anars grecs avaient une grosse influence, je me rappelle leur volonté d’attaquer l’Assemblée, et qu’une milice communiste avait formé un mur devant l’institution pour les empêcher de passer. On en est vraiment pas là sur Lyon, mais peut-être que ces deux orgas sont dans cette tradition d’affrontements autour du rapport aux institutions. Je pense qu’il y a de la place pour les deux groupes sur Lyon. On se prend la tête et on perd du temps sur des embrouilles entre orgas alors que derrière il y a quand même un danger qui est là. On devrait plutôt se concentrer là-dessus avec nos stratégies différentes et nos manières de faire, sans forcément critiquer l’autre ou se faire chier comme le 1er mai 2022, à se foutre sur la gueule devant tout le monde. Ça nous renvoie à des caricatures d’affrontements de rue et de territoire, virilistes à mort, et qui créent vraiment un truc repoussoir sur l’antifascisme.
C’est l’histoire de Toto…
Yasmine Quand tu vis ce genre de tensions avec d’autres groupes et que les gens te renvoient : « Mais vous êtes sérieux ? Vous êtes du même côté de la barricade ! », forcément tu doutes : est-ce que je fais de la merde ou est-ce que c’est une question de divergences politiques ?
Mais en rencontrant les gens en France, en Italie, en Suisse où tu veux, tu te rends compte qu’il y a les mêmes types de conflits partout. Et d’autres groupes l’ont déjà vécu aussi avant, il y a dix, vingt, trente ans…
Et ça continuera d’arriver parce qu’il y a un côté qui est prêt à se rallier à tout et à n’importe qui pour servir son intérêt. Et il y a un autre côté qui est prêt à tout faire, même niveau lutte armée, pour vraiment renverser et changer les choses.
C’est vraiment la question du renversement, comment on va le faire, et ce qu’on va faire après qui clive. Par exemple, j’aimerais bien qu’il n’y ait plus de police et qu’on puisse réfléchir ensemble à ce qu’on fait une fois qu’on a aboli la police, mais je ne pense pas que de l’autre côté, ce soit la même chose. Peut-être qu’un jour, des gens prendront en compte nos erreurs et trouveront une autre stratégie que l’affrontement. Peut-être que nous-mêmes, on finira par trouver mais pour moi, ce conflit reste inévitable. C’est un conflit entre « l’autonomie » et les autres. Après, même entre nous je ne suis pas certaine qu’on soit d’accord sur ce qu’on veut dire exactement par l’« autonomie ».
Côme Quand j’étais plus jeune, au tout début de la GALE, les gens me disaient : « Toi, t’es un toto parce qu’en manif, tu vas jamais respecter le cortège. » Donc je me disais que ça devait être péjoratif, mais je n’arrivais pas à comprendre les critiques.
Lucas Depuis que je suis entré dans le milieu militant, j’ai tout le temps entendu « les totos, les totos, les totos… », comme si c’était une espèce de secte sombre, hyper puissante, hyper organisée, avec des réseaux souterrains et clandestins implantés dans le monde entier… Il y a vraiment une dimension de fantasme !
Mathéo On ne s’est pas revendiqué dès le début de l’autonomie politique, mais c’est à force de militer de manière indépendante qu’on s’est rendu compte qu’on faisait les choses comme les autonomes : squatter, organiser des concerts, des spectacles, faire ses propres tracts, produire des écrits théoriques, être dans l’action directe… Et puis on voulait être en rupture avec la gauche sociale-démocrate, en rupture avec les partis, en rupture aussi avec des grands syndicats, parce qu’on se rendait compte que c’était un jeu de théâtre où les gens se battaient pour prendre la parole au nom des autres. Et nous, on voulait que personne ne parle à notre place.
Zede C’est se leurrer que de se dire qu’on est autonomes. Un groupe comme la GALE, pour moi, ça reste une organisation. Chez certains totos, dans les milieux squats, les médias comme Lundimatin ou Contre Attaque, il y a une dérive plus esthétisante que concrète, dont le moteur serait une avant-garde éclairée par je ne sais quel miracle, avec un mépris pour les organisations syndicales, et une espèce de volonté d’entre-soi qui serait pur. Alors oui, c’est bien d’être tatillon, mais si notre objectif, c’est la révolution, il faut quand même réussir à faire masse, dans l’idée de ne pas avoir trop d’ennemis, parce qu’on en a suffisamment ailleurs. Donc je trouve bizarre par exemple de traiter la CGT de réformiste quand tu vois que la CGT dockers fait une émeute dès qu’elle le peut. Donc il y a bien des gens qui ont des gamberges révolutionnaires même dans des syndicats comme la CGT et FO, mais nous comme eux, on se coltine des tas de préjugés esthétiques.
Lucas Pour moi, « l’autonomie », c’est d’abord l’autonomie italienne des années 70 : le dépassement des bases syndicales, le fait de s’autonomiser des partis traditionnels et de revendiquer une radicalité qui apporte concrètement un changement dans la manière dont les gens se mobilisent et dans le rapport de force que tu poses avec l’État. C’est ensuite l’autonomie allemande qui porte des modes de violence très offensifs dans la rue. Et puis bien sûr l’histoire d’une certaine frange de l’autonomie française qui, depuis 2016, se retrouve autour du cortège de tête et qui se dit : « En fait, on est des milliers à ne plus se retrouver dans les organisations traditionnelles militantes et dans les partis politiques. » C’est enfin l’autonomie en tant que théorie politique, comme une pensée de la reprise en main collective de nos vies sans aucune médiation extérieure, donc cela questionne notre rapport à l’ État, à la police, même aux commerces et aux soins… Je pense qu’il faut aussi savoir tirer des leçons de l’histoire d’Action Directe45 et du maoïsme révolutionnaire : on en a vu les limites avec la répression immense qu’ils ont subie pour le peu de répercussions qu’ont eu leurs actions. Je pense qu’ils étaient allés tellement loin dans leurs pratiques que c’était plus possible pour eux de revenir en arrière et d’être en phase avec la réalité et le niveau de violence que les gens étaient prêts à aborder.
En tant que révolutionnaire, je veux la révolution, quels qu’en soient les moyens, autant je pense qu’il est important de capter l’époque pour identifier laquelle de tes actions aura un vrai sens révolutionnaire en ce qu’elle tendra les masses à un niveau de violence et de conflictualité avec l’État qui est plus important. Et quelle action est juste de la radicalité de posture, puisqu’elle va simplement t’isoler et faire qu’au contraire, les gens ne vont pas augmenter leur niveau de violence, mais le redescendre. Mais capter l’époque, ça ne veut pas dire non plus attendre le grand jour où les masses vont se révolter. Il faut trouver un espèce d’entre-deux, on peut augmenter les niveaux de violence nécessaires pour combattre l’État, tout en restant dans une espèce d’emphase avec, soit le mouvement social qui est en train d’avoir lieu, soit l’époque dans laquelle tu vis. Que tu sois pas un extraterrestre qui pose des bombes alors qu’en fait, les gens, ils ont déjà du mal à manifester.
Porter le gilet jaune ?
Yasmine On n’a pas adhéré tout de suite aux Gilets Jaunes46 : comme dans toute la gauche, il y a eu un temps d’observation. D’autant plus qu’au début, à Lyon, les fafs étaient au service d’ordre et tenaient la première ligne, ce qui a été compliqué quand on est arrivés un mois après le début du mouvement en mode : « Coucou c’est nous. »
Lucas Au début, on a eu ce mépris que peut avoir la gauche envers les classes populaires entre guillemets non éduquées, non politisées. Mais quand on a vu comment c’est parti à Paris, l’aspect insurrectionnel qu’il y avait dans ce mouvement-là, on s’est dit que si on y allait pas, on allait passer à côté de quelque chose !
Yasmine Ce qui était impressionnant, c’était la vitesse à laquelle ce mouvement a pris et la violence qu’il a engagé dès le début, la rage des gens de par leur vécu et leur précarité. Ça allait tellement plus vite qu’avec de simples manifs intersyndicales ou nos simples cortèges de tête, que ça donnait espoir que ça aille plus loin, peut-être d’atteindre le pouvoir ! On a aussi réalisé que le mouvement ne viendrait pas forcément de nous, qu’on n’était pas indispensables.
Zoe Autant c’était une erreur de ne pas avoir investi rapidement ce mouvement, autant quand on s’est impliqué, on a vu qu’il y avait vraiment beaucoup de fafs et de conspis…
Lucas T’avais l’Action française, les anciens du Bastion social, les hooligans du stade… Et moi, jamais je n’accepterai de m’allier stratégiquement avec l’extrême droite française, je ne peux rien faire aux côtés de militants identifiés de l’Action française ou des identitaires. La légende de la Résistance qui serait l’alliance des communistes et des patriotes, je la refuse. Par contre, je ne vais pas aller taper un Gilet Jaune qui me dit qu’il vote FN. La prise des ronds-points, l’autogestion, la vie commune, la solidarité… c’était bien éloigné des valeurs fascistes. Alors même si ce mouvement était rempli de personnes d’extrême droite, c’était aussi notre rôle en tant que révolutionnaires d’être présents pour mener une bataille culturelle.
Zoe On y a été, les potes se faisaient taper par les fafs, mais ils tapaient aussi des gens lambda, qui ne comprenaient pas ce qu’il se passait. Donc notre rôle a été d’expliquer qui étaient les fafs.
Lucas Un pote a failli perdre un œil dans une baston. On s’est fait défoncer, courser plein de fois, obligés de partir parce qu’ils étaient en surnombre. Alors on a dû faire un travail de longue haleine, on allait à toutes les AG des Gilets Jaunes, sur les ronds-points, on s’est confronté à des personnes qui disaient : « Mais nous, on en a rien à foutre de vos embrouilles de merde et on prendra pas parti. »
Yasmine J’ai pris la parole à une grosse assemblée générale des Gilets Jaunes à la Bourse du Travail. La salle était blindée et ce n’était pas comme un amphi de la fac : là c’est des darons, des daronnes, des gens de la campagne, des gens que tu connais pas… Il fallait leur faire comprendre ce que c’est exactement qu’un groupe de fafs, expliquer que ce ne sont pas des gens normaux, montrer des photos, lister, et documenter leurs violences. À la fin de ma prise de parole, les gens se sont levés et ont dit : « Effectivement, ils n’ont pas leur place ici avec nous, on va se défendre ensemble », c’était super fort et ça a aussi permis de s’organiser pour préparer le fameux acte 1347 !
Lucas Pour l’acte 13, on a appelé à un cortège antifasciste dans le mouvement des Gilets Jaunes. On s’est préparé un mois en amont : on était une soixantaine à se retrouver au collège Maurice Scève48, on s’entraînait à se déplacer ensemble, à se battre, à se tenir, à faire des jeux type « Tu fermes les yeux, tu fais confiance à la personne qui est devant toi ». On s’exerçait aussi à des bagarres collectives, des lignes de vingt contre vingt, on ne se tapait pas, mais il y a eu quand même quelques blessés. C’était vraiment une espèce d’entraînement commando ! Et là, ça a évidemment totalement dépassé le cadre de la GALE.
Côme C’est la seule action de ces dernières années qui a été une pure union de toutes les forces antifascistes — que cela soit les syndicats, les partis politiques et même certaines personnes de la JG qui sont venues avec nous le jour même pour virer les fafs…
Zoe Après une longue préparation de plusieurs semaines, le jour J de l’acte 13, le 9 février 2019, on était prêts physiquement. Il y avait des gens devant, des gens derrière, des banderoles renforcées, des bâtons, des choufs49 qui tournaient…
Lucas …Certains avaient des casquettes coquées, des masques, des talkies-walkies, tout le monde avait un rôle hyper précis : il y avait des lignes prêtes à se battre avec des bâtons, une banderole de tête qui avait pour mission de soit stopper le cortège, soit le protéger si l’attaque venait de devant, je n’avais jamais vécu une organisation aussi carrée.
Lucas Moi, j’étais à la banderole de l’arrière, et au moment où on est arrivés cours Lafayette50, les fafs nous ont attaqués à quatre-vingt par derrière. On a arrêté la banderole, toutes les lignes de défense qui étaient prévues se sont mises devant, face à eux.
Côme Dans le groupe de fafs qui attaquait, il y avait tout le Bastion social qui venait d’être dissous, des anciens des identitaires, des néo nazis du Beaujolais et du stade de Lyon. T’avais pas mal de gens de Paris, des gens des Zouaves51, ils étaient presque une centaine et nous on était aussi une centaine, c’était un cent contre cent, c’était Braveheart !
Zoe La baston a duré plusieurs minutes. Notre objectif, à l’avant, c’était de rester compact avec la banderole pour contenir les gens en soutien et qu’on reste tous et toutes compactes et solidaires avec les gens qui se battaient à l’arrière.
Lucas C’était un peu particulier parce qu’on a forcé les gens à rester dans le cortège mais ça nous a quand même beaucoup servi. Derrière la banderole, j’avais l’impression d’assister à une guerre médiévale, on recevait des projectiles de partout, mais ça ne me faisait pas mal parce que j’étais blindé de protections, on en envoyait aussi et à un moment, boum, les potes ont chargé !
Zoe C’était le chaos total : du bruit, des cris, ça tapait et pour moi, c’était interminable. L’image que je garde c’est quand on a tous couru avec la banderole en hurlant pour les chasser…
Lucas …Et ils se sont enfuis, certains sont tombés et se sont fait savater. Les flics sont intervenus pour nous gazer, ce qui leur a laissé le temps de se barrer, et ça s’est terminé par un énorme cri de joie…
Lucas Je n’avais jamais vécu ça, c’est la fois où j’ai eu le plus de frissons dans ma vie en raison d’une victoire politique, on était tellement heureux qu’on a fait la fête toute la nuit.
Côme C’était une belle belle victoire pour Lyon, ça prouvait à tout le monde que les fafs pouvaient être cent, gros, entraînés… Parce que les cent hools qui sont venus face à nous, ils étaient vraiment là pour taper ! Mais l’union les a fait fuir définitivement du mouvement ! Et je suis sûr que cette histoire restera dans l’histoire du mouvement des Gilets Jaunes.
Lucas La légende s’est répandue dans les cortèges lors des actes suivants : « Les Gilets Jaunes se sont fait agresser par les fafs pendant l’acte 13 et c’est le black bloc qui les a combattus en héros ! » Et par la suite, l’imaginaire antifasciste s’est répandu dans le mouvement, certains Gilets Jaunes ont même créé des groupes antifas !
Yasmine C’était le scénario qu’on n’osait pas espé-rer : virer les fascistes du mouvement et qu’ils ne se sentent plus légitimes à tenir la rue, et que nous on se sente de nouveau en confiance, et pas stressées de se prendre des droites. Je pense que c’était essentiel et important parce que ça leur a montré que s’il y avait un autre mouvement social, il ne faudra pas essayer de remettre les pieds dedans.
Les ami·es, les amours, les ruptures
Zede J’ai un peu vadrouillé après être partie du domicile parental, puis j’ai été prise dans une école d’art à Lyon. Je m’y attendais pas du tout alors je suis partie comme un pet sur une toile cirée ! Mais je ne me sentais pas d’aller à Lyon, que je savais être une ville gangrenée par les fachos, sans continuer de militer dans un truc antifa. Je suivais ce que faisait la GALE depuis l’acte 13 des Gilets Jaunes, du coup je les ai contactés sur les réseaux sociaux. On s’est rencontrés en septembre 2020, ils étaient un peu sceptiques, il y avait de la suspicion, genre je suis une indic’.
Lucas Ça nous est arrivé que quelqu’un nous dise : « Je voudrais vous rejoindre, j’arrive de Paris où j’ai milité pendant deux ans avec l’AFA-PB, je les connais tous », puis tu contactes l’AFA-PB et en fait, ils ne connaissent pas du tout la personne. À l’inverse, on a reçu des fois des appels d’autres groupes antifas : « Votre pote là, il est arrivé à Lille, il a dit qu’il vous connaissait », et en fait pas du tout. J’avoue, j’ai du mal avec la mythomanie politique, ça me fait trop peur, même si je sais que la personne ne le fait pas méchamment, qu’elle veut juste trouver une légitimité, parce qu’on est dans des milieux très fermés, et que c’est problématique. Mais pour Zede, ça a été vérifié facilement.
Côme Et puis Zede c’était une fille, on accepte plus facilement les filles, parce que tous les mois, il y a des mecs qui nous écrivent pour entrer dans le groupe en mode « Je veux chasser des fafs », et nous c’est pas ce qu’on cherche en premier lieu.
Lucas De toute façon, on refuse d’être dans des logiques de recrutement, puisqu’on ne veut pas être une organisation hégémonique. Plutôt que se retrouver à plein et que ça devienne un bordel pas possible, on va plutôt favoriser la création de nouveaux groupes. Mais quand une personne nous demande d’intégrer la GALE, on a besoin d’une certaine confiance alors on lui demande d’abord de venir à plusieurs événements, mais on va aussi par exemple aller manger des kebabs ensemble, pour apprendre à se connaître.
Côme On a donné sa chance à Zede, on lui a dit : « Viens nous rencontrer, viens aux manifs, viens sur nos tables de presse, viens aux soirées ouvertes, tu discutes avec nous », puis après, c’est le feeling…
Zede Donc j’étais en « période d’essai ». On allait faire des collages, je les suivais en manif, et là je faisais du zèle : je prenais la banderole, ça m’allait de tenir une ligne face aux keufs, même si on était au corps à corps. J’avais besoin de prouver que j’étais pas une mouille, une lâche qui se chie dessus à la moindre lacrymo. Mais aussi que je pouvais tenir la route quand on faisait des incursions au Vieux Lyon pour aller mettre la pression aux fafs. Bref je montrais que je n’avais pas peur. Même si évidemment, j’avais super peur ! Et puis je suis une meuf, et de manière générale, il faut faire ses preuves doublement, surtout sur des trucs physiques de manifs, de tapes avec les fafs…
Côme On ne vérifie pas ça sur les manifs et les tapes, le seul truc qu’on fait comprendre, c’est d’être assidu ! Si tu peux venir juste de temps en temps, ça sert à rien, et dans ce cas-là, tu restes juste sympathisant. On fait la différence entre sympathisants et militants : soit tu restes sympat’, on continue à se voir en soirée, on fait les manifs ensemble ; soit t’es militant et là il faut participer aux réunions, proposer des textes, etc. Et ça, ça prend du temps, du mental, bref ça te prend un peu de ta vie…
Lucas On essaie de se réunir entre deux et trois fois par mois et on va aussi aller dans d’autres réunions ou en manifs, en tant que GALE, et tout ça se prépare en amont.
Zede Au-delà des manifs, à chaque fois que je les voyais, je proposais d’écrire un texte pour prouver qu’intellectuellement aussi, on pouvait être raccord. J’ai fait tout ce zèle parce j’étais motivée et que je voulais leur montrer que j’étais pas juste une diandiante, que je pouvais vraiment les aider et leur apporter quelque chose.
Lucas Lorsqu’une personne revient plusieurs fois et montre son intérêt à vouloir rentrer dans le groupe, c’est débattu en réunion. À la GALE, on ne vote jamais, on prend les décisions au consensus : quand il y a des personnes qui ne sont pas d’accord, on va essayer de trouver un arrangement. Ce mode d’organisation prend du temps pour acter les choses, mais il est hyper important pour le niveau de radicalité du groupe, qui nécessite une confiance importante entre les gens. Aussi, on a envie de faire très attention à ce que tout le monde se sente considéré, que chaque parole ait du poids et du sens. S’il y a une seule personne qui met un veto, la personne ne rentre pas dans le groupe. Par contre, on considère que le veto doit être absolument motivé. Une fois, il y avait un couple dans le groupe, une personne demande à nous rejoindre, et la meuf du couple pose son veto sans expliquer. Et de fil en aiguille, on a compris qu’elle avait posé son veto par jalousie, de peur que la personne qui voulait rentrer veuille pécho son mec. C’était pas sérieux ! En plus, au final, elle a pas pécho le mec. Mais en gros, c’est ça le recrutement à la GALE.
Autonomes organisé·es, personne peut les canaliser
Nabilla Quand je suis rentrée dans le groupe en 2020, il y avait beaucoup de mouvements, de réunions, de rencontres, notamment autour de la loi Retraite52. Les manifs, c’était limite mon sport quotidien, j’y allais trois fois par semaine ! Et clairement, il y a eu un tournant dans mon approche des manifs avec la GALE, peut-être parce que je ne me retrouvais pas aux mêmes endroits qu’avant, mais j’avais l’impression qu’on allait à la guerre à chaque fois. Déjà, il fallait se matosser : masque, lunettes, tenue de rechange au cas où il faille se disperser. Et puis il y avait beaucoup de répression : tu te faisais gazer, tu ramassais des coups de matraque, des grenades de désencerclement… Donc ça me mettait dans une approche différente : t’as une organisation, une logistique, tu sais que t’as une personne, un binôme et que vous ne vous lâchez pas.
C’était mes premières fois dans le bloc, donc j’observais, je comprenais pas trop comment ça marchait parce qu’en vrai, le bloc, c’est le bordel. Émotionnellement, ça m’a mis un peu dans le vif au début, mais j’ai appris à avoir plus de sang-froid. J’ai commencé par tenir la banderole, après je me suis mise à casser les pubs, parce que je n’aime pas les pubs et puis j’ai jeté des trucs : un peu comme les Grecs et les boucliers, tu te caches et tu balances sur la ligne de flics. Avant je ne faisais pas ça, les manifs, c’était juste un truc folklorique avec de la musique genre « On lâche rien » et des sandwichs saucisse, mais je ne pensais pas qu’il était possible d’avoir une confrontation directe avec la police. Et je ne vais pas mentir, j’y ai pris un sacré plaisir ! Déjà t’as l’adrénaline, et puis j’ai toujours eu peur de la police depuis que je suis toute petite avec les histoires dans mon quartier, donc là, j’avais l’impression de me venger et d’attaquer le grand méchant loup de mon enfance.
Lucas À la GALE, on essaie de permettre à tout le monde d’avoir sa place, il n’y a pas de spécialisation, il n’y a pas ceux qui vont se battre et ceux qui vont parler. Mais on est aussi conscients de nos limites, de nos peurs.
Yasmine On aimerait que tout le monde prenne sa part de responsabilité, que le travail tourne, on voudrait que ce soit horizontal. On n’a pas de leaders, en tout cas pas nommés, mais il est vrai que des gens prennent plus de responsabilités que d’autres. Et même s’ils aimeraient passer le relais, c’est compliqué, au vu de leur ancienneté dans le groupe. On peut citer deux personnes qui vont être communes à tout le monde, ce sont deux des créateurs et créatrices : Zoe et Côme.
C’est un groupe aussi qui a beaucoup changé depuis que je suis là, j’ai vu beaucoup de profils variés passer : certains rentrent avec les tripes pour les tapes, d’autres rentrent parce que leur parcours de politisation les amène là. Certains vont se mettre à fond, parce que faut donner du temps quand tu milites et que t’acceptes de t’engager dans un groupe comme celui-là, et c’est pour ça qu’il y en a forcément qui vont prendre plus de place que d’autres. Moi, j’ai pris beaucoup de place, il y a d’autres personnes qui essaient de prendre des responsabilités, Nabilla par exemple.
Lucas Personnellement, j’essaie d’être présent sur tout pour avoir une effectivité politique la plus complète possible. Donc je participe à la plupart des manifestations, j’essaie d’être là quand on fait des tractages dans le Vieux Lyon ; j’essaie aussi de m’organiser dans les squats, dans l’organisation de cantines, pour permettre de partager un repas autour d’une thématique politique où l’argent reviendra en soutien à une cause spécifique, que ce soit la répression pour des militants en Grèce ou alors en France, permettre de soutenir des camarades en procès.
Ami-litant·es, et plus si affinités
Yasmine J’ai rencontré le milieu autonome de Lyon au moment de la loi Travail en 2016. Je portais encore le hijab à l’époque et c’est une pote voilée, une antifa de Paris, qui m’a présentée à Lucas qui m’a fait connaître la GALE. Ce truc de luttes antifascistes, ça me rappelait l’Italie, c’était une étiquette que j’avais envie de me réapproprier. Et la première chose dans laquelle je me suis investie, c’était le Lyon Antifa Fest, sur lequel pas mal des militants de la GALE sont bénévoles. Des gens étaient venus de nombreux endroits de France, de Suisse et du coup j’ai fait plein de rencontres…
Côme En 2016, je suis parti pendant un an faire un tour du monde, et pendant mon voyage, il y a une fille de Lyon, Yasmine, qui m’a demandé en ami sur Facebook, en me disant : « Je suis nouvelle à la GALE. » Ça m’a fait plaisir parce qu’avant mon départ, on était au plus bas avec plein de gens qui avaient quitté le groupe. Quand je suis revenu en France, j’ai débarqué à l’Antifa Fest en décembre 2016, et je l’ai vue derrière le bar, et là j’ai eu comme un flash ! Bref, on s’est kiffé et très vite, on s’est mis ensemble. Avant je ne voulais pas sortir avec des gens du milieu, je voulais séparer ma vie politique de ma vie personnelle et sentimentale. Mais la vie politique prend trop de place et affecte ta vie personnelle. Avec Yasmine, on ne savait pas ce que ça allait créer dans le groupe, un couple, c’est comme une entité dans l’entité, ça fait des tensions, ce que t’as eu en réunion, t’en reparles à l’appart’ donc tu peux ramener des embrouilles politiques chez toi aussi.
Yasmine Je sais le considérer comme un camarade, je peux aussi militer sans lui et surtout, je ne suis pas rentrée à la GALE parce que j’étais la meuf de Côme. J’ai rejoint le groupe avant d’être avec lui, alors qu’il n’était pas là, donc j’ai eu le temps de me faire ma place. Et dans le milieu, les gens me connaissent parce que je suis Yasmine et pas la « meuf de » ! Évidemment, de son côté, c’est plus facile parce qu’on parle souvent de « la meuf à machin » et jamais du « mec à une telle » !
Lucas Je sais pas si on est un groupe politique ou une bande de potes. Je crois qu’on a accepté qu’on avait une importance affinitaire, mais on n’a pas envie d’être qu’une bande. Quand il y a eu ce veto par jalousie, on s’est dit qu’on était aussi un groupe politique parce qu’on ne peut pas dire non à une personne juste pour des histoires personnelles. En fait, on est une espèce de truc hybride, on essaie de dealer pour que l’affinité ne prenne pas trop de place et l’organisation politique non plus.
Côme On a quand même une vie particulière : on se fait tabasser par des fafs dans les rues ou dans les manifs par des flics, tes potes te récupèrent, ils vont te cacher quelque part, d’autres te soignent, il y a ceux avec qui t’es parti en garde à vue, ou en prison… On vit des choses que la plupart des gens ne connaissent pas, et ça fait des attaches singulières parce qu’on a partagé des choses beaucoup trop fortes… Un peu comme les gens qui vivent des aventures en montagne, pris dans une avalanche ensemble, ils ont vécu un truc que toi, tu ne peux pas comprendre. Nous, c’est similaire, on vit des choses entre nous, ma copine fait partie du groupe, mes meilleurs amis aussi, avec la répression ça a également réuni nos parents qui sont devenus amis entre eux… Donc on a notre bulle sociale, et c’est une bulle sociale qui me va.
Nabilla Au début, je ne voulais pas mélanger ma vie privée avec le politique. Maintenant, ce n’est plus le cas parce qu’au final, tu vis tellement de trucs forts qu’en fait les gens, ça devient tes frères et tes sœurs. Donc la GALE, c’est grave devenu ma bande de potes.
Lucas Quand tu te retrouves avec des gens hyper proches dans des situations compliquées, une répression policière, une bagarre avec des fafs, t’as pas envie de lâcher les gens, t’as envie d’être là pour eux parce qu’en fait c’est tes amis et c’est pas juste ton organisation politique ! Et ça je pense que c’est un des gros points forts de l’affinitaire.
Zede En se basant uniquement sur l’affinité, j’ai l’impression que ça fait naître une espèce de positionnement de « Nous, on est comme ci, et les autres ne sont pas comme nous ». Quand il y a un « nous » et « les autres » et que le « nous » se définit par des codes parfois vestimentaires, une manière de parler, etc., il y a la recréation de micro-milieux et ça ferme, je crois qu’on pourrait être dans un truc plus intelligent, plus vaste.
Lucas La limite de ce truc affinitaire, c’est de former une bande un peu sectaire, de ne pas être trop ouvert vers les autres. Dès qu’on arrive quelque part, on nous voit comme une bande de potes qui se fait hyper confiance et du coup les autres, le reste du monde, le reste du milieu politique, t’as pas forcément envie de lui faire confiance. Ça peut aussi impressionner les nouvelles personnes qui rentrent dans le groupe de se retrouver face à des gens très amis, on peut ne pas se sentir suffisamment inclus au collectif pour oser prendre la parole par exemple. Et quand tu n’as pas encore eu le temps de créer des liens d’amitié assez forts, tu vas bouffer au tacos et tu vas oublier d’inviter la nouvelle personne de la bande.
Zede Mes amis qui sont en dehors des milieux militants sont des soc’ dem’, ça n’empêche pas que je les aime. Mais si, à un moment donné, la question révolutionnaire se pose, ils ne prendront pas parti pour la révolution, et si la révolution foire, ils demanderont des comptes et seront mes futurs ennemis politiques. Donc je sépare les deux parce que c’est douloureux de fréquenter et d’aimer des personnes qu’on sait être de futurs ennemis politiques. Aussi, je ne fais pas rencontrer mes amis de politique avec les autres, c’est vraiment scindé. Mes colocs font des trucs qui n’ont rien à voir avec mon activité politique : l’une est commerciale et un autre bosse dans une AMAP De même, je suis actuellement pionne la nuit en internat, avant je faisais des ménages, je ne mélange pas avec la politique. Et pareil avec mes collègues étudiants.
Côme La plupart des amis que j’avais dans mon ancien travail, je ne leur parle plus. Pourtant c’était des gens proches, avec qui je suis parti en vacances mais c’est des personnes ultra capitalistes ! Donc il y a eu des ruptures claires parce que je préfère rester avec mes potes politiques. Et puis la lutte antifasciste, ce n’est pas comme quand t’es inscrit au club de foot du coin, ça fait partie de ma vie, c’est ma façon de penser, c’est pourquoi je me lève le matin, bref c’est total !
La scission
Lucas Aujourd’hui, dans la GALE, on est une grosse dizaine, mais le groupe est monté jusqu’à quarante membres. Quand on devient très nombreux, on a plus de chances que ça éclate. C’est ce qui s’est passé plusieurs fois, mais la grosse scission qui nous a fait beaucoup de mal, c’était celle de 2020 : on est passés d’une trentaine à sept !
Mathéo Il y a eu des choses dures en interne à la GALE, j’ai perdu des amis, des gens avec qui on s’est brouillés alors qu’on était vraiment proches. La grosse rupture, c’était des gens qui ont posé un ultimatum pour qu’on prenne position au sujet d’un problème interne au mouvement autonome.
Côme L’embrouille c’était autour de l’histoire d’un type qui s’était auto-accusé d’avoir eu un comportement avec son ex qui pourrait s’assimiler à un viol conjugal. Il était dans une logique de déconstruction : il voulait questionner les violences sexuelles au sein du couple. Dix ans plus tard à la fac, un groupe féministe autonome a eu vent de cette histoire et a commencé à répandre la rumeur que ce type était un violeur.
Yasmine Dans ce genre d’histoire, le principal, c’est la parole de la meuf victime. Et là, la meuf n’avait rien demandé, elle n’était plus là, on ne se réapproprie pas la parole d’une personne concernée.
Côme Cette embrouille a fait monter la tension à Lyon, il y a eu des tribunes, des attaques de lieux, des bagarres…
Mathéo …On nous a demandé de signer un texte qui réclamait le bannissement du gars de l’espace social, culturel et militant. Ça a soulevé énormément de débats sur la justice alternative…
Côme …Ils ont commencé à nous provoquer en mode « Vous ne voulez pas prendre parti parce que vous êtes des mecs, donc vous êtes des violeurs ou des pro-violeurs »…
Lucas Je me souviens de la réunion de la GALE où cette histoire était à l’ordre du jour. Tout le monde se levait, hurlait, s’insultait, se jetait des trucs dans la salle et pleurait. C’était intense. On avait vécu des trucs de fou pendant des années ensemble et là, on sentait que c’était la déchirure du groupe, que c’était la fin.
Côme Cette réunion a été un carnage, des trucs horribles ont été dits les uns sur les autres, on a capté qu’il y avait eu des discussions dans le dos : que machin avait invité truc et bidule à un repas pour les convaincre de prendre parti. Des manigances politiques de ouf à l’intérieur de la GALE ! Avec des gens qu’on connaissait depuis dix ans qui se sont fait renverser le cerveau par d’autres qui venaient d’arriver.
Mathéo Le but des gens qui ont animé ce conflit n’était pas de trouver un consensus, mais d’imposer un rapport de pouvoir. Ils s’immisçaient dans les histoires de couple, les histoires de famille, ils jugeaient tel ou tel militant, il y avait une volonté de pureté.
Lucas C’était rempli d’affects, on s’est gueulé dessus et à la fin, j’ai pris dans mes bras certains de mes amis en disant : « On va se revoir, faut qu’on se reparle. » Ce qu’on n’a jamais fait au final, la rupture était trop forte.
Yasmine Avant le conflit, on était presque une trentaine, ça marchait de ouf, on était une famille. Après la scission, on était plus qu’une petite dizaine. Mais les départs ont eu lieu en deux temps : d’abord la bombe, la réunion qui a explosé le groupe, et puis il y a ceux et celles qui ont été saoulés et se sont un peu perdus politiquement avec cette histoire et qui sont partis sans rien dire un peu plus tard.
Lucas Ça m’a fait perdre des amis au-delà même des membres de la GALE, des gens qui ne me répondaient plus, et qui trois mois plus tard me disaient que c’était à cause de mes positions sur cette embrouille.
Yasmine Dans les gens qui sont partis, il y avait une personne que j’appréciais beaucoup et que j’ai revue à la rentrée suivante : il pleuvait, il faisait gris, le temps était avec le thème des retrouvailles. On était sur un banc, on s’est un peu refait le scénario, et puis on s’est dit ciao, c’était un au revoir triste.
Nabilla T’as plus de nouvelles du jour au lendemain, il te reste juste les souvenirs, les délires et des points d’interrogation et au début, ça te ronge. Maintenant c’est plus apaisé, c’est passé du côté de la nostalgie. Je pense que tu peux garder des amis avec qui tu as des divergences politiques tant qu’il y a une certaine distance, mais quand il y a trop d’amour, trop de liens et que tu donnes tout, si la personne te la fait à l’envers, tu pardonnes moins !
Zoe Il y a eu des coups bas, des non-dits, c’était une vraie trahison ! Alors l’amitié n’aurait pas pu survivre à cette rupture. Après, la politique, c’est comme ça : c’est cruel, c’est violent dans tous les sens du terme, quoi !
Côme Il n’y a eu aucun rabibochage ! Même sur les manifs, on se croise à peine du regard, sans se parler, ça fait vraiment chier. Il y a qu’une seule personne qui m’a écrit quand j’étais en prison, mais je n’ai pas répondu. C’est le truc le plus triste qui puisse arriver à un groupe affinitaire.
Mathéo Quand t’es révolutionnaire, l’engagement, il est coûteux, tu perds plus que tu gagnes, mais tu noues des belles relations. Là, perdre des amis, ça m’a achevé. Alors je me suis dit que j’allais lever le pied et m’éloigner du militantisme. J’ai un immense respect pour ceux et celles qui continuent, parce que c’est beaucoup de sacrifices, deux ou trois réunions par semaine, des mobilisations les samedis et dimanches. Moi, j’ai le boulot, je fais du sport, et au bout d’un moment, je ne pouvais plus respirer. Je voyais moins les potes qui ne sont pas dans le secteur militant et puis les réunions commençaient à me faire chier, j’avais envie de prendre du temps pour moi, faire du sport, aller à la montagne le week-end et cette scission a été le déclencheur.
Intermède shopping : Fred Perry, la mode à petits prix ?
Côme Au début de mon engagement, en 2009-2010, j’avais la vingtaine et ceux qui étaient avec moi étaient encore plus jeunes, genre dix-huit ans. À l’époque, on a été marqués par le documentaire « Antifa, chasseurs de skins »53, c’était très romantisé mais on trouvait ça cool et on se projetait dans cette période. Dans les concerts de punk redskin où on allait, on baignait dans cette culture années 80 : on portait des Adidas Samba tribande, des jeans retroussés, des Fred Perry54, Lonsdale…
C’était nos vêtements, notre style, un signe de reconnaissance entre nous. Il n’y a pas si longtemps, on regardait une émission sur M6 sur les voyages en famille et tout de suite, avec Yasmine, on a vu un mec, béret, tribande, tee-shirt avec un logo et on s’est dit : « Lui c’est un antifa », parce qu’il avait toute la panoplie, et le seul doute que tu peux avoir, c’est que ça soit un faf parce qu’effectivement, on porte les mêmes vêtements…
Yasmine Bien sûr que ça peut prêter à confusion pour les personnes qui ne nous connaissent pas, après je ne dirais pas que j’ai le même look que les fafs, mais que c’est plutôt les fafs qui nous copient ! En vrai, c’est l’histoire du mouvement skin et des mouvements musicaux qui transcendent les barrières politiques, même aujourd’hui, les fachos se mettent au rap…
Côme Notre look a évolué, on a suivi la mode du hip hop, donc des survet’. Au début, on faisait des mix entre les modes, à un moment, on nous a appelés les survet-skins, parce qu’on était moitié Fred Perry, moitié survet’ Lacoste ! Aujourd’hui, on est casu ou casual, une mode qui vient des ultras dans les stades de foot en Angleterre, avec des marques comme Lyle & Scott, C.P. Company, Stone Island, New Balance. Déjà la culture skinhead venait des stades anglais. Après ce sont des fringues qui coûtent cher…
Nabilla Quand je suis arrivée dans le milieu, je me suis retrouvée en immersion dans un monde où tu as des codes, un look vestimentaire avec certaines marques qui sont mises en avant, une esthétique. Et moi j’en touchais pas une, ça parlait de marques, j’entendais « casu, casual » et je me disais : « Mais de quoi ils parlent ?! », et j’étais obligée d’aller sur internet pour capter ce que c’était. Je trouvais ça trop chelou, l’importance que ça pouvait avoir pour certaines personnes, mais c’est comme tout groupe, il y a un besoin d’avoir des éléments en commun pour avoir un sentiment d’appartenance. Après c’est pas parce que je suis rentrée dans le groupe que je me suis mise à acheter du Fred Perry ou des trucs comme ça, je vais pas mettre une blinde dans des marques ! Moi, je m’en fous totalement : je vais chez Kiabi et j’assume !
Aux carrefours de l’insurrection
Nabilla La scission est arrivée peu de temps après que j’ai intégré la GALE. Du coup, je suis arrivée, je ne connaissais pas forcément le milieu et je suis tombée dans cette embrouille. Ça prenait beaucoup de place, c’était super intense, je me disais que ça faisait perdre une énergie de ouf pour la lutte. Bref, que c’était de la merde de se faire la guerre. J’étais dégoûtée et je me suis demandé si j’allais rester. En plus, à cette période-là, il y avait une fille de la GALE qui était dans un truc genre « Nous les racisées, faut qu’on se serre les coudes ». Et ces mots m’ont parlé, je trouve important d’avoir des espaces de non-mixité entre racisées, où tu peux parler de toi, de ta condition, de tes luttes avec des personnes qui sont racisées et qui vivent ça comme toi. Mais après la scission, on m’a dit : « Toi t’es à la GALE parce que t’es leur caution de meuf racisée qui vient des quartiers », ce qui m’a mis un doute dans la tête, comme un malaise. J’avais l’impression de trahir à la fois les potos de la GALE en doutant, et mes semblables. Je me sentais trop mal. Et puis, la pote m’a posé un ultimatum, un truc à la Star Wars : « C’est les Blancs contre les racisées, soit t’es avec moi, soit t’es contre moi. » Ça a provoqué une grosse rupture amicale, j’avais l’impression qu’on s’attaquait à mon identité. Et ce questionnement sur mon identité, je l’ai quotidiennement, c’est un travail qui va me prendre toute ma life ! Parce que je suis issue de la diaspora marocaine, parce que je viens des quartiers, que je ne suis plus marocaine mais que je ne suis pas vraiment française… Et le fait que ces personnes-là, qui sont racisées elles aussi, m’aient ramenée à ça, ça a été hyper violent.
Après la scission, un texte accusant la GALE et d’autres collectifs d’être racistes et suprémacistes a circulé, un texte de colère et d’amertume mélangées. Mais c’était violent : comment ces personnes qui nous ont côtoyés pendant des années ont pu écrire ça, wesh ! Moi aussi je suis dans le groupe ! Et avec Yasmine, on ne serait jamais restées dans un groupe qui aurait un comportement ou un positionnement raciste ! Ça m’a trop soulée ! Aujourd’hui, je ne suis plus du tout en contact avec ces personnes. Ils ont essayé de faire deux ou trois trucs, puis on ne les a jamais revus, ils ont disparu du jour au lendemain.
Yasmine J’ai toujours ouvert ma bouche, je le fais toujours. Ces personnes savaient quelle était ma place au sein du groupe, pas une place minime, donc elles m’ont invisibilisée. Ça m’a rendue triste et ça me rend toujours triste. Des textes comme ça, c’est de la gaminerie, j’aurais vraiment préféré que ces gens disent des choses, dans le milieu, dans les AG, qu’ils assument ! Ils auraient pu le faire aussi avant plutôt que de rester dans le groupe pendant trois, quatre, cinq ans, ou même dix ans pour d’autres !
Lucas Moi je pense qu’en effet tous les Blancs sont racistes, donc si c’est ça qui a voulu être dit dans leur texte, il y a une part de vérité. Effectivement, nos milieux politiques sont majoritairement composés de Blancs, y compris la GALE. Mais quand je lis ce communiqué et que je vois par exemple qu’on nous reproche de traîner sur une place qui porte le nom de Mazagran, un colonel de la colonisation, je m’interroge : si on veut abattre un système raciste, on doit être sérieux dans nos argumentaires ! Là il s’agissait juste de flics de la pensée qui essayaient de scruter toutes les petites dérives, même farfelues.
Après, je suis sans doute le premier à avoir des comportements pas oufs, qu’il faut que je déconstruise, mais mon but dans ma vie et le but de mes camarades qui m’entourent, des camarades racisés comme des camarades meufs, c’est d’abattre des structures et des systèmes, pas de s’attaquer à des individus. Et aussi savoir qui sont nos vrais ennemis ! Cette histoire qui a conduit à la scission a eu des conséquences sur ma conception politique, ça m’a rendu presque réac’ sur la politique du « safe » : le sensible et le ressenti des gens viennent parfois prendre une place trop importante. Il n’y a plus de matérialité, plus de réflexion sur le fond. Les arguments avancés en face de nous, c’était : « En fait il y a des meufs, elles disent que c’est un violeur, et il faut croire la parole des meufs. » Et moi, je suis d’accord pour croire la parole des meufs mais, dans cette affaire-là, la victime n’était pas présente à Lyon et n’avait ni exprimé son avis sur le sujet ni été consultée, enfin rien… Et je ne pense pas que ce soit possible de se saisir du vécu d’autres personnes. Et ça me pose question : à quel point des fois, on ne recrée par des espèces de joker militant, parce que t’es une meuf racisée, que tu cumules des oppressions, ta parole va être un atout et doit avoir tout pouvoir. Je ne dis pas que tout ce qu’elles ont dit dans leur texte est faux, parce que c’est vrai que les milieux blancs ont du pouvoir. Mais ce truc de plus tu as des oppressions, plus on devrait t’écouter et ne pas remettre en cause ta parole, je pense que ça peut poser problème parce que c’est essentialiser la parole des personnes.
L’émergence des théories intersectionnelles a fait énormément sens dans ma vie. Elles ont eu un écho parce que je suis pédé et que je suis juif, voir les effets subjectifs d’une telle combinaison d’identités me permet de comprendre le vécu spécifique de ma sœur en tant que meuf, des personnes musulmanes qui portaient le voile à une époque dans la GALE… Bref, d’aborder ensemble les rapports de domination. L’intersectionnalité, c’est super important. Mais avec cette histoire-là, j’ai aussi vu que la pensée dite « woke », avec d’énormes guillemets, a ses limites. Une camarade qui est une meuf racisée et musulmane me disait en parlant de l’intersectionnalité : « On s’est fait voler nos outils par les bobos blancs. » Il y a une sorte de dépossession de cet outil militant d’analyse critique hyper pertinent qu’on a malheureusement rendu hyper individuel, on n’essaie plus de rechercher des espaces de questions systémiques, on le renvoie juste à des personnes. Je pense que c’est un exemple du libéralisme qui se ressaisit de nos outils politiques et qui infecte nos milieux.
« Tais-toi ! T’es un mec, tu parleras quand ce sera ton tour »
Yasmine Une nuit, on a voulu faire une action entre meufs au Pavillon noir, le local du Bastion social, sur les quais de Saône. On a pris la voiture, on avait du matos (bombes de peinture, gazeuse…) et on s’était attribuées des rôles : celle qui conduisait, celle qui avait la gazeuse au cas où il y aurait une couille, celle qui faisait le chouf… On est arrivées, une personne a commencé à taguer lorsque deux meufs habillées en mini-jupe sont passées devant nous et ont commencé à crier. On leur a dit : « Vos gueules ! Allez-y, barrez-vous… »
Zoe …Là, les fafs sont sortis de leur local qu’on était en train de repeindre, ils ont chopé l’une de nous, alors je suis arrivée sur eux pour les gazer…
Yasmine …Le gars a lâché notre pote et il a crié aux autres : « Putain mais je crois que c’est des femmes. » Il s’avère que dans les fafs, il y avait notamment Steven Bissuel55, donc c’était pas n’importe qui…
Zoe …Il fallait courir mais avec l’adrénaline et la panique, des copines n’y arrivaient pas, je faisais des retours en arrière pour les relever…
Yasmine …On a couru loin, on a traversé un pont, personne n’avait de bigot, il fallait qu’on se cache…
Yasmine …On s’est dit : « Putain, on est mortes », on a commencé à toquer aux portes, on voyait la lumière s’allumer dans les maisons mais les gens ne nous ouvraient pas, on était en panique, on s’est cachées en mode « Chut, personne ne parle ». Et les fafs sont passés juste devant nous. Et ils ne nous ont pas vues. Au final, il y a sûrement un début de tag qui a été fait en face de leur local, mais je ne me rappelle pas ce qu’on avait écrit.
Zoe Au début, la GALE était un groupe très pélo56, j’étais la seule meuf. Ça ne me dérangeait pas mais aujourd’hui, je trouve ça cool qu’il y en ait d’autres, ça nous amène à repenser nos pratiques. Par exemple, dans les prises de parole, on fait plus attention, parce qu’un mec, quand il parle, il va vite hausser la voix pour que les autres se taisent.
Zede De manière générale, les mecs ne se comportent pas bien, et je suis certaine que des mecs de la GALE peuvent être problématiques dans leurs relations avec les meufs, parce que ce sont des mecs qui sont construits comme des mecs. Mais ce n’est pas parce que je suis une femme que je suis totalement propre au niveau sexisme non plus…
Nabilla Quand je suis rentrée dans la GALE, il y avait déjà pas mal de meufs, mais les mecs restaient quand même dans leur truc de pélo, mascu’, avec leurs vieilles blagues. Au fil du temps et grâce au travail de déconstruction porté par les meufs, j’ai vu les schémas un peu évoluer dans le groupe.
Zede Quand les mecs prennent tout le temps la parole en réunion et cherchent à prendre l’ascendant, les femmes du groupe sont vindicatives et font autorité. Elles ont autant de place que les mecs sur les décisions, dans les manifs, sur les tapes, etc.
Yasmine Je ne me suis jamais sentie mal, ni illégitime, j’ai ma place en tant que meuf à la GALE et je suis bien contente. Zoe et moi, on est les plus anciennes du groupe et on est des grandes gueules, ça aide les autres meufs à se sentir légitimes et à l’aise pour s’exprimer. Après, c’est sûr que dans les autres groupes antifas, c’est pas pareil !
Zede Quand on a intégré la coordination antifa de France et de Navarre, j’ai vu que généralement le cliché des groupes antifas virilistes existe bien : t’as en moyenne trente mecs pour deux nanas, ce sont eux qui ont le pouvoir avec ce truc de performance de la masculinité pour les tapes. Le pire, c’est dans les groupes de « Golgoth Rouge », les antifas qui se revendiquent communistes. C’est moins le cas dans des groupes plutôt anarchistes et autonomes, parce que même si certains peuvent aussi rechercher ce truc de performance masculiniste et hétéro un peu pénible, ils se font tout de suite descendre en mode « Tais-toi ! T’es un mec, tu parleras quand ce sera ton tour ».
Nabilla C’est vrai que le milieu antifasciste, c’est un milieu viriliste, mascu’, chants de stade et compagnie. En tant que meuf dans ce genre de milieu, il faut que tu te fasses ta place parce que celle qu’on va te laisser n’est pas forcément celle que tu veux. Il faut aussi que tu sois dans l’éducation de tes camarades quand il y a des propos qui ne vont pas du tout et c’est dur. Pour les meufs dans le milieu antifasciste, il y a le combat que tu mènes à l’extérieur et il y a le combat que tu dois mener en interne dans ton groupe contre certains comportements.
Yasmine C’est vrai que l’image qu’on peut renvoyer quand on est dans la rue, c’est souvent une bande de jeunes mecs qui jouent à faire la bagarre, ça fait vraiment viriliste, grosses couilles et c’est pas cool.
Zede Quand une nouvelle loi de merde arrive comme ça a été le cas pour les lois séparatisme ou Sécurité Globale par exemple, on priorise et on fait toujours passer les manifs et les actions avant l’organisation de conférences et de trucs pour faire mûrir nos idées. On préfère se dépêcher de se bagarrer selon un emploi du temps dicté par l’État ou par les fafs plutôt que d’armer notre argumentaire féministe, alors que ce sont des choses qui pourraient se faire en même temps. Et là-dessus, je pense qu’on est faibles parce qu’au final on a pas le temps de déployer des pensées comme ce que c’est que lutter en tant que femme dans un groupe étiqueté antifa. On a beaucoup de choses à apprendre des féministes, des militant·es queers. En même temps, certains groupes féministes plus « traditionnels » ne nous voient pas comme des alliées. Ça nous est arrivé avec les filles de la GALE d’aller dans des réunions féministes non mixtes où on nous a renvoyé un espèce de soupçon : pour elles, on était compromises avec des mecs cis hétéros problématiques donc quand on parlait, c’était des hommes qui s’exprimaient à travers nous.
Nabilla Le 8 mars 2022, lors de la marche de la journée des droits des femmes et des minorités de genre, avec les meufs de la GALE, on a sorti notre banderole « Féministes antifascistes, antiracistes, anti-islamophobes », on était à fond sur la thématique anti-islamophobie à l’époque, par exemple on organisait des matchs de foot en soutien aux Hijabeuses57. Et dans le même temps, on se traînait quelques sympathisants un peu schlagues en mode Gilets Jaunes grandes gueules. Du coup on se retrouve dans la marche féministe du 8 mars avec cette banderole, on avait pas vraiment beaucoup de meufs pour la porter, et derrière, plein de mecs dont pas mal de cas soc’ qui criaient « Enculé » tous les deux pas, j’avais trop la mort. Il y avait une partie de la marche qui était en non-mixité choisie et les pélos de « notre » cortège ne comprenaient pas et allaient dans ces zones où ils se faisaient virer en mode « Non ici y a que des femmes ou des personnes trans non-binaires, toi t’es un mec cis, tu dégages. » Et les gars n’entendaient pas, alors les meufs du service d’ordre venaient nous voir en disant : « Mais en fait ils sont tous relous les gars qui sont avec vous ! » Elles avaient 100 % raison, on était trop mal par rapport à ça, et j’ai vraiment eu honte de ce truc-là.
Depuis une marche féministe (regard extérieur)
Manon J’ai 32 ans, j’habite à Lyon, je milite activement chez Nous toutes Rhône58 qui fait partie du collectif Droits des femmes 69. Donc je participe à l’organisation des grosses marches féministes annuelles à Lyon du 8 mars, du 28 septembre et du 25 novembre59. Je me définis aussi comme antifasciste puisque pour les fachos, on est des femmes, des minorités de genre donc on est tout ce qu’ils exècrent.
Je me souviens de la manif du 8 mars 2022, j’étais en tête de cortège et j’ai passé mon temps à recadrer des mecs habillés en noir qui se disaient antifas, qui étaient avec des fumigènes et qui voulaient être devant alors que c’était un endroit en non-mixité choisie. Certains réagissaient mal, ils restaient, voulaient parlementer et nous rétorquaient que : « Moi je vais où je veux », il y en a qui nous ont traitées de « féminazis » ! Bref la non-mixité semble déjà compliquée pour certains antifas, mais alors la non-mixité en tête de cortège, ça ne passe vraiment pas !
Lors des marches féministes, on se fait souvent attaquer par des militants d’extrême droite qui viennent arracher nos banderoles. Depuis quelques temps, on a aussi affaire à Némesis, un groupe qui se définit comme féministe d’extrême droite. Leur technique d’approche est de s’intégrer de manière pernicieuse dans les cortèges en tant que femmes pour diffuser leur idéologie. Par exemple, lors des manifestations de soutien pour les femmes iraniennes, elles sont venues en disant : « Le port du voile, c’est contre les droits de la femme ici aussi », et du soutien à la lutte des Iraniennes, elles dérivaient vers des propos insultants envers des personnes racisées françaises. L’année dernière elles sont également venues perturber un die-in qu’on organisait en femmage aux victimes des féminicides, pour amalgamer les femmes assassinées aux soi-disant « morts de l’avortement ». Mais on les connaît aujourd’hui, on a un service d’ordre qui les repère assez vite et qui intervient pour leur dire que ce n’est pas possible et pour les sortir s’il y a besoin. Souvent elles sont suivies de loin par une espèce de meute d’hommes crânes rasés qui sont clairement violents. Donc ça peut être un peu compliqué, mais jusqu’aujourd’hui, on est toujours arrivées à les maîtriser sans avoir besoin d’aide. Lors de la manifestation de novembre 2021, des groupes antifas nous ont contacté en amont de la marche pour proposer d’assurer notre service d’ordre, on leur a expliqué qu’on assurait nous-mêmes le SO, parce qu’on tient à ce que ce soient majoritairement des meufs ou totalement des meufs qui s’occupent de cette tâche, notamment autour des cortèges en non-mixité, et qu’on est pas forcément dans une logique de SO de combat avec une attitude guerrière. Surtout, on a essayé de leur faire entendre qu’on est un collectif féministe et qu’on n’a pas besoin d’autres groupes pour assurer notre propre sécurité.
Le jour de la marche, j’étais en tête de cortège et j’ai vu arriver un groupe composé majoritairement d’hommes, tous cagoulés, habillés en noir, virulents, en mode black bloc, qui quadrillaient la manif sur les côtés. Mes camarades sont allées les voir, les antifas leurs ont dit qu’ils étaient là pour nous protéger des fachos. Elles leur ont expliqué que ce n’était pas la peine, qu’on avait notre propre SO, et là, des insultes ont fusé : « Salopes », « Espèces de connasses », « Sale pute »… Et aussi des doigts d’honneur, des « Faudra pas venir pleurer si vous vous faites agresser par les fachos. » Bref, des propos qui ne sont pas du tout entendables ! Vouloir faire de la protection alors qu’on ne demande pas de protection, ça montre tous les travers de la société patriarcale. Encore une fois, on n’est pas des petites choses fragiles qui ont besoin d’être protégées dès qu’on sort dans la rue, on se défend très bien contre les fachos, toutes nos manifs se sont bien passées : il y a des familles et des enfants, c’est bon enfant et bienveillant. D’autre part, venir nous protéger alors qu’on a dit : « Non, ne venez pas », c’est ne pas respecter notre consentement. Donc ce qu’ils ont fait ce jour-là, c’était nous rabaisser en s’inscrivant complètement dans le schéma patriarcal de la société. Jamais je n’aurais pensé que les antifas pouvaient se comporter comme ça avec un cortège féministe, je pensais que ces milieux-là étaient safe !
Je me revendique de l’intersectionnalité, s’il y a le patriarcat, c’est parce qu’il y a le capitalisme, c’est parce qu’il y a aussi du racisme, de l’exploitation du plus faible… Et il faut qu’il y ait une convergence dans ces luttes. Là-dessus, je pense qu’on défend les mêmes positions avec les antifas autonomes, qu’on a les mêmes valeurs de base. Donc c’est vraiment ensemble qu’on pourra avancer. On a assisté ces derniers temps à beaucoup de ratonnades, de descentes des groupuscules fachos, et franchement, ça fait peur. Les groupes antifas sont très utiles pour leur travail de protection, d’autodéfense, de veille, de maraude, d’alerte dans les quartiers. Mais aussi, et là je pense plutôt à la JG, pour tenter d’aller voir les politiques et essayer de faire changer les choses de ce coté-là. La GALE, je trouve que c’est important qu’ils soient là aussi parce qu’on est tellement bien quadrillé·es, assigné·es dans des cases dans cette société que c’est important d’avoir des personnes qui font rentrer des ronds dans des carrés pour pouvoir justement apporter des idées, cibler plus directement le système capitaliste et montrer comment on pourrait faire pour casser cette boucle infernale.
Ces groupes antifas ont des valeurs qu’on partage, mais au niveau du féminisme, il faut qu’ils tra- vaillent sur le côté macho et viril qui est quand même très problématique. Et pour ça j’ai espoir que des personnes en interne qui sont super puissent faire bouger les lignes en disant : « Là, gars t’as merdé quoi ! Là, ça va pas et je t’explique pourquoi. »
Thérapie répressive contre la GALE
Yasmine En novembre 2019, avec certains de la GALE, j’ai participé à la réflexion et à l’ouverture d’un squat : l’ECG — Espace Communal de la Guillotière — qui s’est agrandi avec l’occupation du bâtiment d’à côté, l’Annexe. On a fait des travaux pendant des mois, c’était très grand, ça nous a donné une base, un repère visible pour nous, pour les voisins dans le quartier, un lieu que d’autres ont pu se réapproprier aussi. À l’ECG, il y avait des cours de langue, des cours d’informatique pour femmes, des permanences politiques, des réunions de différents groupes… Enfin plein de choses pour pouvoir s’organiser et, en même temps, ça servait de lieu d’habitation pour des potes sanspapiers. C’était dingue de participer à l’ouverture de ce squat, j’avais jamais vécu ça, j’étais trop contente, ça m’a rappelé l’Italie, où il y a beaucoup de lieux occupés dans les quartiers. On l’a ouvert juste avant le Covid, et c’est vite devenu méga concret puisqu’avec le confinement, tous les commerces qui devaient être fermés nous ont filé de la bouffe donc on a mis en place des distributions alimentaires.
Lucas Pendant les confinements de 2020, avec la GALE, on a participé aux Brigades de solidarité populaire, une initiative lancée d’abord en Italie puis dans toute la France. On a fait de la distribution de bouffe dans la rue et on a organisé des marchés rouges à l’ECG, marchés où les produits, récupérés directement aux producteurs, sont proposés à prix dérisoires pour essayer d’organiser une solidarité sur la question de l’alimentation.
Avec ma team de potes, on a aussi ouvert un autre squat à la Guillotière où on habitait et où on organisait des cantines, des fêtes, des tombolas, des fripes avec comme objectif la rencontre des gens du quartier et la reformation d’un milieu qui était fracturé en mille morceaux après la grosse scission et la période hyper difficile où on était tous isolés. On était des jeunes en mode « On veut continuer de se voir, de faire la fête, de s’amuser » malgré les confinements. On n’était pas du tout au point sur les risques que comportait le virus, on n’était pas non plus dans un truc complotiste mais on faisait des fêtes sauvages où se retrouvaient cinq cents personnes sans masque dans un lieu qu’on avait appelé le « Kluster »… c’était un peu no future et, j’avoue, pas très malin. C’était une forme d’égoïsme parce qu’on était des jeunes, valides, en bonne santé, alors qu’on aurait dû être un peu plus sérieux sur les protocoles, sur la prévention… Par contre, je pense que ce squat a été hyper important et bénéfique pour notre milieu et dans la vie des gens, donc je ne regrette pas.
L’affaire des 7
Zoe Dans les mouvements anti-pass60 pendant le Covid, on n’a pas pu faire le gros travail antifasciste qu’on avait réussi avec les Gilets Jaunes, parce que le mouvement s’est vite scindé en deux manifs distinctes et le seul moment où elles se sont croisées, ça a donné l’affaire des 7.
Côme Le 28 août 2021, comme quasi tous les samedis de cette période à Lyon, il y avait deux manifs ; une anti-pass mais pas anti-vaccins, avec les mouvements de gauche, et une deuxième organisée par Les Patriotes, le mouvement de Florian Philippot61. Eux étaient carrément anti-vaccins, souvent complotistes, et drainaient toutes les franges de l’extrême droite.
Ce jour-là, la manif des Patriotes s’est terminée une demi-heure avant la nôtre, mais quand on est arrivé place Bellecour, on a croisé une dizaine de personnes avec des énormes stickers de Civitas62 marqués « Non à la vaccination », avec des photos de Bill Gates, Soros, Attali…
Lucas …Je portais un pendentif avec une étoile de David et directement je me suis fait invectiver : « Sale juif, c’est de ta faute », et un de nos camarades racisés s’est prit un « Sale pakistanais »…
Côme …Je leur ai dit de dégager en arrachant leurs stickers, ils m’ont agrippé et ont commencé à me frapper, ce qui a enclenché une bagarre générale, le reste de la manif est venu nous aider…
Lucas …Et les fafs se sont enfuis très rapidement. Ce n’était pas une bagarre exceptionnelle, on en a connu d’autres à Lyon, avec des groupes beaucoup plus énervés et violents. Là, c’était vraiment rien du tout…
Côme …Il n’y a eu aucun blessé de part et d’autre et aucune arrestation. Mais un mois plus tard, le mardi 21 septembre, alors que j’étais en formation d’éduc’ dans un amphi de quatre-vingt personnes, une dame est entrée, a discuté avec la prof qui a décrété une pause. Quand je suis sorti de l’amphi, un mec — cheveux gras et gris plaqués en arrière, petite veste en cuir et lunettes fines — m’a chopé en m’appelant par mon prénom. Je pensais que c’était un prof mais il m’a dit : « C’est la police, on est positionné partout autour de l’immeuble, ça ne sert à rien de t’enfuir, alors tu vas chercher tes affaires et tu me suis. »
Lucas Le même jour, la police m’a appelé sur mon portable et m’a demandé de venir à Lyon. Je leur ai répondu que ce n’était pas possible et le commissaire m’a dit : « Ha oui, vous êtes à Grenoble pour vos études », manière de m’indiquer qu’ils savaient où j’étais.
Côme En bas de mon établissement de formation, trois voitures banalisées et une dizaine de keufs m’attendaient. Ils m’ont menotté devant mes collègues et m’ont embarqué. Je me demandais ce que j’avais bien pu faire pour mériter une telle arrestation. Dans la voiture, ils m’ont dit qu’il s’agissait d’une bagarre en manif, alors j’ai eu un moment de soulagement en me rappelant l’altercation avec Civitas : ils nous avaient tapés, on les avait tapés, j’allais m’expliquer au commissariat et tout irait bien. Ils ont roulé à fond en direction de mon appartement pour faire une perquisition. Chez moi, ils sont tombés sur le tee-shirt que j’avais le jour du 28 août, un tee-shirt Lonsdale floqué « Against racism & hate »63, ils l’ont saisi en disant : « Voilà, c’est ce qu’on cherchait », et on est repartis après qu’ils aient photographié tous les stickers antifascistes collés sur mon frigo.
Lucas Après le coup de fil, j’ai décidé de me rendre le lendemain matin au commissariat. Ils m’ont mis en garde à vue. J’ai refusé de donner mon ADN, car c’est un fichage qui me fait peur, et le ton jusque-là cordial des policiers a changé, ils étaient beaucoup plus violents dans leurs propos, leur manière de me pousser, de me faire me lever, de me rasseoir. Il y en a un qui m’a arraché mon masque en me criant : « De toute façon, ton ADN, on va te le prendre ! » Il me hurlait que j’allais finir en taule et que j’étais dans la merde.
Côme Pendant l’audition, ils m’ont montré une vidéo, issue d’une caméra de surveillance, où on me voit donner un coup de pied dans les fesses d’un mec de Civitas. J’ai demandé à l’officier de revenir en arrière mais il m’a signifié qu’on ne pouvait pas rembobiner la vidéo avant l’extrait. Je me suis énervé et j’ai décidé de ne plus répondre s’il ne voulait pas me montrer d’autres images. J’ai donc été reconduit en cellule et ils m’ont inculpé de violences en réunion, participation à une manifestation non déclarée, groupement en vue de violences ou de dégradation, et non-divulgation de mes codes de portable, quatre chefs d’inculpation !
Lucas Quand ils me trimballaient dans les couloirs, je voyais qu’on était nombreux sur cette affaire, qu’ils avaient l’air d’avoir beaucoup d’informations sur nous, alors j’ai commencé à avoir peur. J’ai été déféré le lendemain matin au tribunal.
Côme Au tribunal, j’ai été présenté à la juge qui devait décider si j’allais aller en prison en attendant le procès. Elle m’a demandé si j’avais quelque chose à déclarer, je lui ai répondu que j’avais une formation en cours, que même si la justice me connaissait, j’avais toujours respecté les convocations et condamnations, donc je ne voyais pas pourquoi je devrais aller en prison en attendant le procès. Elle m’a renvoyé dans la salle d’attente, toujours menotté et encadré par deux flics le temps du délibéré.
Lucas Devant la juge, j’ai complètement perdu mes moyens ; j’essayais de dire les choses qui montraient que j’avais vraiment besoin de rester en liberté, par exemple qu’il fallait que j’aide ma mère parce que ma grand-mère venait de décéder du Covid. Au final, elle m’a laissé libre jusqu’au procès avec un contrôle judiciaire.
Côme « Vous êtes incarcéré à la prison de Ville-franche-sur-Saône. » À ces paroles de la juge, mon avocate m’a regardé avec des yeux éberlués et désolés. J’ai pété un câble et je leur ai balancé : « Vous protégez des antisémites, ça m’étonnerait que vous puissiez vous regarder dans une glace ! » La juge m’a fait sortir de force par les flics, j’ai encore gueulé toutes les insultes possibles dans le couloir pour évacuer la colère.
Lucas À la sortie du tribunal, j’ai fondu en larmes avec la redescente de pression. J’ai pris conscience que quatre de mes potes finissaient en taule et la première personne que j’ai vu à la sortie, c’était Yasmine, la copine de Côme, c’était dur. Les camarades m’ont rassuré en me disant qu’il valait mieux qu’il y en ait que quatre en prison plutôt que sept. J’ai relativisé un peu mais la culpabilité était là.
Le soutien
Yasmine Les parloirs, c’était méga violent, déjà avec toute la paperasse et les autorisations, je n’ai pas pu y aller avant cinq semaines. Cinq semaines sans le voir ! Et puis, entrer dans une prison, passer les grilles, les portes, les verrous, c’était horrible. J’avais toujours pensé que la prison, c’était de la merde, mais tu ne réalises pas la souffrance et comment ça peut détruire tant que tu ne le vis pas ou qu’un proche ne le vit pas.
Et puis une fois en face de Côme, c’était chaud, je ne savais pas quoi lui dire, je n’étais pas très optimiste sur le procès qui arrivait et du coup je n’arrivais pas à le rendre positif…
Côme Numéro d’écrou, fouilles, mise à nu, paperasse, protocoles Covid, changements de cellule… Les autres détenus ne comprenaient pas comment je pouvais être là pour violences en réunion alors qu’il n’y avait pas de victime, pas de plainte. J’ai fait appel de ma mise en détention, il a été rejeté. On m’a alors proposé de participer à un stage de prévention contre la radicalisation en prison, avec des débats intitulés « Citoyenneté et laïcité » ou « L’influence des engagements politiques ou religieux ». J’ai été inscrit sur cette liste de détenus radicalisés à cause de mes idées politiques antifascistes !
Nabilla Chaque fois que je recevais une lettre de Côme depuis la prison, j’étais contente, et en même temps, cette criminalisation me rendait triste et me faisait vraiment peur pour l’avenir.
En plus, l’exercice d’écrire une lettre à un pote en taule, ce n’était pas facile : j’ai essayé de lui raconter un peu mes journées, de parler de souvenirs communs, genre boire une Chouffe, faire un trek. J’essayais de faire attention à ce que j’écrivais, au cas où les lettres seraient lues par l’administration pénitentiaire, j’évitais de dire : « T’inquiète, on est méga organisés, on a fait un méchant comité de soutien ! » Même si en vrai, on avait fait un méchant comité de soutien !
Zede Cette affaire nous a mis dans une dynamique différente : on avait un gars en prison, d’autres mecs de la GALE avaient aussi été arrêtés et étaient hors-jeu parce que sous contrôle judiciaire strict. Dans le même temps, trois autres gars, qui étaient là essentiellement pour la bagarre et aller poutrer les fafs, ont quitté le groupe dès qu’il a été question d’organiser du soutien, d’envoyer des lettres, de préparer le procès, de trouver des idées pour médiatiser tout ça… Au final, on s’est retrouvées seules entre meufs pour assurer tout le soutien qui a donc été un travail féminin. Heureusement qu’il y a eu le comité de soutien, qui a apporté une autre dimension.
Yasmine Plein de gens sont venus spontanément apporter de l’aide en disant : « C’est fort ce que vous subissez, on ne va pas vous laisser seuls. » Il y a eu une solidarité de ouf, des liens de ouf, un réseau de ouf qui a marché, en France mais aussi à l’international ! Ça a été aussi un travail acharné d’organisation de soirées de soutien, de communiqués de presse, de faire signer des tribunes à des gens… Et ça a marché64 !
Zede Ça a été un soutien à des antifascistes, porté par des personnes qui ne se revendiquaient pas forcément antifa. Et ça nous a aussi appris à être avec des gens qui n’étaient pas forcément de notre groupe. Moi je suis arrivée à la GALE juste après la grosse affaire qui a brisé tout le milieu autonome. Mais là, on retrouvait du poil de la bête avec une espèce de force qui nous a conduits au procès et nous a rendus plus forts, ça nous a montré qu’on pouvait gagner des combats !
Le procès
Côme Le jour du procès, le 4 novembre 2021, on avait vu personne depuis six semaines, et quand on nous a montés dans la salle d’audience, là, c’était ouf. Depuis la cage en verre du tribunal, je ne voyais que des gens que je connaissais de près ou de loin, et ils étaient là pour nous ! Ça m’émeut encore aujourd’hui parce que tous les jours, on se bat pour la solidarité et là, c’en était une démonstration de ouf !
Agnès Bouquin, avocate de la GALE Une lecture complète du dossier a permis déjà de poser plusieurs questions : le militant Civitas qui est présenté comme victime, on ne sait pas qui il est parce qu’il n’a jamais déposé ni plainte, ni main courante. Il n’a même pas appelé un commissariat pour signaler qu’il aurait été victime de violences de la part d’une horde de personnes. On a fait le tour des hôpitaux, il n’y a pas eu d’admis ce jour-là pour des points de suture ou des choses qui seraient en lien.
En revanche, on a un des enquêteurs qui va faire un procès verbal pour expliquer qu’il prend attache avec quelqu’un de chez Civitas, on a que ses initiales, Monsieur E.B., qui n’est même pas la victime mais qui la connaît. Et à aucun moment ça choque quelqu’un qu’on ait un des enquêteurs qui prenne son téléphone et fasse le zéro six de quelqu’un de Civitas, étant précisé que cette organisation est informelle, sans numéro de téléphone public. Donc on a un lien direct et personnel entre un enquêteur et cette organisation. L’enquête est partiale : elle dissimule volontairement des images qui sont compromettantes par rapport à la version officielle que l’on veut nous vendre, alors que les photos que nous avons produites du côté de la défense révèlent que des personnes identifiées comme victimes dans l’enquête sont en fait à l’origine des violences. L’exploitation de caméras de vidéosurveillance sur laquelle va se fonder toute l’accusation n’a été précédée d’aucune autorisation. Les enquêteurs vont volontairement éluder toutes les scènes de violences commises par les militants Civitas, et vont placer la vidéo sous scellés. Quand on demande la copie de la vidéo pour pouvoir savoir de quoi il en retourne, on obtient un fichier vidéo inexploitable, que personne ne peut lire. On demande alors à ce que le scellé soit ouvert. On est tous convoqués pour ouvrir le scellé et on se rend compte que le CD y figurant ne marche pas non plus.
Le parquet va nous expliquer qu’il possède une clé USB avec une autre copie de la vidéo. Sauf que c’est l’intérêt de cette législation stricte mais protectrice du placement sous scellés de garantir l’authenticité de ce dont on parle. Donc on a demandé que cette saisie de la vidéo soit annulée, ce qui revenait à mettre tout le dossier à la poubelle. En plus de cette enquête très partiale, on avait aussi un contexte qu’on ne pouvait pas ignorer : des événements d’une grande violence ont été répertoriés ces dernières années à Lyon et n’ont donné lieu à aucune réponse pénale.
Le plus emblématique, c’était le saccage en pleine journée de la librairie associative La Plume noire, en 2021, par une horde d’individus , cagoulés, avec des barres de fer, qui cassent tout et qui laissent des signes d’extrême droite très clairs. Dépôt de plainte, classement sans suite. Enfin, ce qu’on a rappelé au tribunal, c’est que dans le cadre constitutionnel sur lequel est fondée notre Ve République, on a le préambule qui rappelle qu’ « au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion, ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. » C’est-à-dire qu’on est tous et toutes antifascistes parce que notre première valeur, c’est la lutte contre les idées fascistes.
Lucas La défense de nos avocats a été incroyable, parce qu’ils nous ont suivis sur la volonté de nous défendre politiquement, avec cette idée de montrer qu’il y a une nécessité aujourd’hui à contrer le fascisme.
Côme Ils ont délibéré pendant une heure et demie. Ils nous ont remonté dans la salle pour donner le verdict. Dans la cage, on entendait pas bien la juge et on était tellement stressés qu’on ne comprenait rien du tout. On essayait de chercher du regard nos avocats, ils regardaient leur table, on se regardait entre nous, et là, la juge a finit par : « La séance est levée. » Dès la fin de son énoncé, toute la salle s’est levée, a applaudit et a scandé « Lyon Lyon, antifa », et ça franchement, wow, j’en ai encore des frissons ! Et là, je me suis dit que c’était bon, que le soir, on allait dormir à la maison !
Lucas La nullité tombe, tout le monde est relaxé. On a juste eu des petites condamnations pour des délits connexes : un mois de sursis pour le refus d’ADN et le refus de donner son code de chiffrement. On a écopé aussi d’une contravention de quatrième classe de trois cents euros pour avoir reconnu avoir donné des coups. Au délibéré, tout le monde était en larmes, c’était super puissant, on a remercié nos avocats. Et après, on s’est dirigés vers la prison pour aller chercher le camarade qui sortait. Et on a fini par faire la fête.
Intermède clubbing: l’Antifa-Fest!
Côme La lutte antifasciste, c’est tout le temps sous tension : tu te prends des coups, les manifs sont sous pression, t’as des réunions tendues, t’es énervé tout le temps… Alors il faut des moments où tu souffles, où tu peux reparler politique au calme, refaire des connexions et te dire que dans cette lutte qui te prend toute ton énergie, ta vie, t’as quand même des bons moments ! Et pour ça, les concerts, c’est bien, en plus, à la base, on s’est tous rencontrés autour de cette passion d’aller en concert, notre rêve, c’était de créer un festival ! Après l’affaire des 25, il fallait qu’on réunisse de l’argent pour payer les avocats, alors avec un petit groupe, on a créé un festival pour récolter de la thune : le Lyon Antifa Fest. Ça a tellement bien marché qu’on a décidé de faire un numéro deux l’année suivante et puis on ne s’est plus arrêtés65.
Dès le début, l’orga du festival, ce n’était pas uniquement la GALE, il y avait des militants d’autres groupes, des autonomes et des gens lambda. On a commencé avec une programmation très punk, ska, skin… Mais on a très vite fait venir des groupes de rap sans abandonner les anciens66 toujours là pour nous soutenir — je pense aux vieux de la CNT qui étaient comme des fous l’année où on a fait venir la Brigada Flores Magon, groupe très cliché « chasseurs de skins », qu’on est beaucoup à avoir écouté quand on était ados. Mais en faisant venir des groupes de rap, que ce soient des groupes des années 90 ou des plus récents, on attire aussi la génération qui est venue à l’antifascisme sans passer par la culture punk. Les gens du CCO67 nous avaient avertis : « C’est impossible de mélanger des concerts ska et hip hop », mais en fait ça s’est toujours super bien passé. Donc l’Antifa Fest, c’était un peu ça : mélanger les genres, rassembler tout le monde avec leurs propres codes.
Et avec six cents à huit cents personnes par soir, je pense qu’on a aussi réussi à réunir des gens qui ne s’entendent pas : si tu regardes la dernière édition, la moitié des bénévoles, c’étaient des gros autonomes, et dans le public, il y avait aussi des vieux anarchistes, des anciens de la CNT, bref des gens qui, je pense, ne peuvent pas se piffrer politiquement. Au final, tout le monde était là et on n’a jamais eu de tension politique pendant le festival. Il a lieu à chaque fois en fin d’année, du coup c’est un peu la récompense pour ceux qui militent tout le temps : t’as les potes, les groupes que tu kiffes, t’as tout le travail qui a été fait pendant un an et je pense qu’on tiendrait pas autant dans la lutte si on n’avait pas ces bons moments-là !
Éradiquer la GALE
Côme Quand on avait vingt piges avec les potes, on comptait chaque arrestation, pour savoir qui avait fait le plus de gardes à vue. Aujourd’hui, je ne peux plus dire à combien j’en suis mais à la GALE, c’est Zoe qui a fait le plus de gardaves et j’ai le record des condamnations ! Dans les manifs, dès que tu donnes un coup de pied dans un bouclier, tu prends un procès pour rébellion, alors ça va vite ! Et puis quand je me prends une tarte par un keuf, je rends la tarte. D’autres arrivent à se retenir et à attendre d’être en manif pour se venger, moi pas et c’est mon problème. J’ai eu ma première condamnation pour introduction de fumigènes dans un stade quand j’avais seize ans. Ensuite j’ai été plusieurs fois condamné pour des violences sur flic, outrage et rébellion, notamment à Oullins, puis lors du mouvement des retraites en 2010 et encore sur une ouverture de squat. J’ai fait un premier séjour en prison de trois jours pour « transport et possession de produits explosifs », c’était en fait un fumigène pendant la manif contre le Bastion social. J’ai aussi eu une condamnation avec huit cents euros d’amende pour un tag ACAB, un contrôle judiciaire pour le murage du Bastion social et puis un mois et demi de détention provisoire dans l’affaire contre Civitas.
Nabilla J’ai été arrêtée une fois avec mon frère sur un truc de famille et j’ai également fait une garde à vue pour ébriété sur la voie publique alors qu’à l’époque, je ne buvais pas d’alcool. Par contre, je n’ai jamais été arrêtée pour mon action politique, et j’en suis assez contente et fière. J’ai déjà entendu certains dire que c’est un passage obligatoire, pour gagner ta street cred, mais franchement, je préfère ne pas en avoir. Et puis c’est important qu’il y ait des personnes qui sont un peu plus en loucedé, en sous-marin, ça permet de se mettre en avant quand les autres ne peuvent pas le faire.
Côme Avant ma dernière condamnation, c’était déjà chaud de trouver un endroit pour faire mon alternance, quand tu veux bosser dans le social avec des ados notamment. Et là avec des violences qui risquent de rester au moins cinq ans dans mon casier, j’ai carrément dû arrêter ma formation d’éducateur. J’ai tellement de condamnations que je suis obligé de ne pas aller sur certaines manifs parce que je risquerais lourd en cas de nouvelle arrestation, ça me casse vraiment les couilles, mais des fois je ne peux pas m’en empêcher. Quelques jours après ma sortie de prison, il y avait Morandini et Bardella68 en bas de chez moi, dans le quartier où je vis et fais de l’antifascisme depuis dix ans ! Si j’étais conspirationniste, j’aurais prétendu que cette émission était une provocation contre moi ! Donc je me suis retrouvé en première ligne sur la manif, face à leurs gardes du corps et aux CRS, le visage à moitié dissimulé, tout le monde savait que c’était moi, de toute façon tous les flics de Lyon me connaissent, particulièrement à La Guill’.
Zoe On a un harcèlement policier quotidien quand on habite à la Guill’, il y a une forte occupation policière sur le quartier, et ils savent qui on est. Quand ils nous voient, ils viennent nous contrôler direct, nous on essaie de les filmer, ça leur plaît pas, du coup ils nous mettent des amendes imaginaires.
Nabilla Ils sont dans une provocation perpétuelle, ils passent à côté de nous, ils nous lâchent des punchlines et nous contrôlent sans cesse. Mais nous on les connaît aussi : par exemple, on surnomme un des policiers « Sandwich » parce qu’avant, il donnait les dwiches au dépôt du tribunal, maintenant il est à la BST, donc il a upgradé, et quand on lui rappelle d’où il vient, il n’aime pas ça. Il y en a un autre qu’on appelle Jul parce qu’il a la même coupe que le rappeur, c’est comme un jeu de taquinerie avec eux. Une fois, je partais courir, en short débardeur avec juste un tout petit sac à dos, et quand je suis revenue, j’ai croisé Sandwich. Je l’ai regardé, il m’a regardée, je me suis retournée, il s’est retourné. J’ai continué et je lui ai fait un gros doigt d’honneur. Deux minutes plus tard, un peu plus loin dans une petite rue, j’ai reçu un coup d’épaule et me suis retrouvée bloquée contre une porte, entourée de douze keufs : « Contrôle d’identité, est-ce que vous avez quelque chose de dangereux sur vous ? » Et ce genre de trucs c’est tous les jours, tu veux rentrer chez toi et tu te fais bloquer par douze keufs, c’est dur à avaler comme sandwich !
Côme Fin 2021, on avait fait une vidéo sur les réseaux pour annoncer le Lyon Antifa Fest avec un extrait d’un concert de l’édition précédente où un des groupes chantait « Et tous les flics, c’est des bâtards », repris en cœur par le public. Un mec d’extrême droite a dénoncé la vidéo sur Twitter, les notables de la fachosphère comme Gilbert Collard, Marion Maréchal et d’autres s’en sont saisis. Laurent Wauquiez, président de la Région Auvergne Rhône-Alpes, a appelé la presse et le lendemain, il s’est retrouvé à la une du Progrès69 pour annoncer qu’il allait sucrer nos subventions. Sauf que, comme d’habitude, c’était un mensonge ! Le Lyon Antifa Fest n’est évidemment pas subventionné, c’est même dans les statuts de l’association de refuser toute subvention pour être en cohérence avec ce qu’on défend et rester autonome de l’État. Mais en créant un flou autour de ça, ils ont mis la pression sur le CCO qui nous louait leur salle et qui, lui, est une association subventionnée. Donc c’était un moyen détourné pour sucrer les subventions d’une assoc’ plutôt de gauche, comme il l’a fait dans tout le secteur culturel70, tout en dénonçant les outrages des antifas dans la presse mainstream. Bref, il a fait un coup politique. Le CCO a été obligé de nous lâcher cette année-là71 et on a dû annuler l’édition, on s’est rendu compte que même notre action culturelle était attaquée…
Nabilla Le 5 mars 2022, il y a eu un « acte » des Soulèvements de la Terre72 à Villefranche-sur-Saône et Lyon contre Bayer73. On était un petit groupe de Lyon à aller à Villefranche pour envahir une usine de pesticides, il y avait plein de contrôles policiers, on était habillés comme des schlagues mais on avait le SUV Mercedes flambant neuf des parents d’un pote, alors on est passés en moonwalk à travers les barrages. Sur place, tout le monde a enfilé des blouses blanches et s’est mis à courir ! C’était vraiment ouf, parce que tu voyais une foule habillée genre Casa de Papel en train de galoper en direction de l’usine Bayer où les grillages ont été défoncés, il y avait des hélicos, les keufs et tout, c’était le bordel total ! L’après-midi, tout le monde s’est retrouvé dans le quartier de Vaise à Lyon pour une manif déclarée qui a été l’une des meilleures que j’ai faites : c’était vraiment mélangé, et j’ai halluciné sur les personnes qui restaient quand il y avait des trucs un peu énervés et du feu. La police nous gazait mais on ne bougeait pas. Des palets de lacrymos volaient dans tous les sens, il y avait des détonations partout et la chorale continuait à chanter « À bas l’État policier » au milieu des nuages de fumée pendant que des gens déboulonnaient les drapeaux de la mairie qui ont ensuite été brûlés. Bref, c’était vraiment ultra stylé ! On était peu de la GALE à participer à l’action à Villefranche et c’était clairement pas un truc créé, porté, organisé par la GALE, pourtant, on nous a reproché cette action par la suite pour justifier notre dissolution.
La dissolution
Côme Un jour d’avril 2022, j’ai reçu des coups de fil d’un numéro que je ne connaissais pas et j’ai vu des flics à la sortie de mon train pour aller au boulot. Ils ont aussi tourné autour de notre appart’ avec Yasmine et à chaque fois qu’ils pouvaient rentrer dans l’immeuble en suivant des habitants, ils venaient frapper à notre porte. On regardait par l’œilleton mais vu qu’on ne savait pas ce qu’ils nous voulaient, et que ça s’était mal terminé la dernière fois74, on n’avait pas envie de répondre.
Zoe On était deux à se faire chercher par les flics, ils avaient sonné chez le pote, qui m’avait prévenue, ils ont sonné chez moi, j’ai décidé de les faire courir donc je n’ai pas répondu. Et ils nous ont couru après pendant deux jours parce qu’ils ont considéré que Côme et moi étions les leaders du groupe.
Côme La police nous a harcelés pendant deux jours. On a fini par demander à nos avocats d’appeler le commissariat pour savoir de quoi il s’agissait et ils nous ont dit d’aller juste signer un papier. Je m’y suis rendu, ils m’ont remis une lettre qui annonçait une procédure de dissolution à l’encontre de la GALE et j’ai signé le papier qui accusait réception. À partir de là, on avait dix jours pour apporter des contestations, et ces dix jours nous amenaient juste avant le dernier conseil des ministres avant les élections présidentielles. Si on n’avait pas eu le papier à temps, ils n’auraient pas pu lancer la procédure en Conseil des ministres avant la nomination du nouveau gouvernement, c’est pour ça qu’ils nous ont couru après.
Côme En gros, ce qu’on nous reprochait était hyper large : participation à des manifestations qui auraient dégénéré, appel à un 1er mai de lutte, haine sur la police… Mais le plus hallucinant, c’est qu’on nous ait reproché d’avoir fait un tag sur le local de Terra Nostra, une reconstitution du Bastion social. Le tag, c’était le dessin du jeu du pendu, où il faut retrouver les lettres d’un mot à temps avant d’être pendu. Et le mot à trouver c’était NAZI. Mon seul regret dans cette action, c’est de ne pas l’avoir mieux dessiné, le pendu.
Zede Clairement, je pense que Darmanin n’en avait rien à foutre de nous, c’était juste un coup de com’ pour la présidentielle, mais ça nous a foutu un coup au moral. On était déjà très fatigués après l’année à lutter contre la répression avec l’affaire des 7, et là, on risquait d’être dissous, on avait l’impression de ne plus pouvoir faire de politique puisqu’on était occupés à se débattre pour sauver nos culs.
Côme Concrètement, la dissolution, ça voulait dire qu’on n’avait pas le droit de s’exprimer publiquement, sur nos réseaux sociaux, d’appeler à une manifestation ou de sortir un drapeau ou même un sticker du groupe… Vu qu’on n’est pas une association, qu’on n’a pas d’existence légale, on a pas de répertoire des adhérents. Sur la notification de la dissolution, il est marqué qu’on serait entre vingt et trente membres, donc à partir du moment où on avait signé le papier, on avait plus le droit de s’organiser politiquement avec ces personnes, sous peine d’être accusés de reconstitution de ligue dissoute. Sauf qu’on ne savait pas exactement qui étaient ces autres membres. Ça nous a posé un gros gros problème de liberté, pour aller en manifestation, pour se parler…
Zede On s’est pas mal renseignés sur des trucs de droit, de justice… J’avoue que c’est vraiment des trucs que je trouve obscurs, compliqués, inintéressants, mais on était obligés de passer par là.
On a beaucoup débattu sur ce qu’il fallait faire : continuer de manière clandestine ? Reformer autre chose ? C’était la première fois que ça arrivait à un groupe comme le nôtre et ils auraient pu essayer de faire ça à d’autres. Si on luttait contre et qu’on gagnait, on pouvait faire un premier exemple et montrer que c’était possible de gagner.
Alors on a choisi de résister ! Donc le comité de soutien s’est reformé pour écrire des communiqués, des tracts, rencontrer des journalistes pour en parler, prendre des rendezvous avec les avocats pour essayer de comprendre à quel niveau on pouvait jouer, essayer de rencontrer d’autres groupes qui avaient été visés par la loi séparatisme et qui avait été dissous, parler avec eux, comparer, réfléchir, organiser la manif contre la dissolution, essayer de motiver les autres groupes antifas de France de venir… Bref, on a envoyé des centaines de mails, à des syndicats, des personnalités, pour signer nos tribunes. À la fin, on était très fatigués.
Nabilla Je me souviens quand on s’est retrouvés dans un café, avec nos ordis, pour bosser ensemble sur le plan d’attaque, et ce moment où le pote lit le texte qu’on venait de produire collectivement et qu’on allait publier pour annoncer la dissolution du groupe. Et le texte se termine par « À jamais antifascistes ! » On avait tous les larmes aux yeux, on était tous très fiers, en plus moi j’avoue, je pleure assez facilement, là en y repensant, limite je pourrais pleurer encore.
Zoe Il y a eu une réelle organisation par rapport à cette dissolution. Mais je trouve dommage que toute la partie de la gauche institutionnelle n’ait pas pris conscience de la gravité de cette attaque. Par exemple, la manif contre la dissolution n’a pas été massive, il n’y a eu aucun parti politique lambda.
Côme Pour se consoler, on s’est dit que s’ils ont voulu nous dissoudre, c’est qu’on dérangeait l’État, qu’on était un danger pour la République ! Mais en vrai, ils nous surestimaient et surtout, ça nous fout quand même la haine de voir qu’en 2022 en France on puisse dissoudre aussi facilement un groupe antifasciste de gauche.
La parole est à la défense
Olivier Forray , avocat de la GALE Au départ, je ne reçois pas des membres de la GALE, je reçois des manifestants car il y a vraiment cette idée de sécuriser le mouvement pour protéger ceux qui en ont font partie, contre les attaques de l’extrême droite et pour éviter les répressions policières. Et quand on voit le quotidien des militants de la GALE, on sait que, malheureusement, la répression policière n’est pas un fantasme. La GALE fait surtout des actions symboliques, je pense au murage du Bastion social, de l’ADN a été retrouvé sur les parpaings. Pratiquer un relevé d’ADN pour une action symbolique contre un groupe d’extrême droite, alors que dans le même temps, la réponse judiciaire est totalement inexistante sur les actions des fachos, montre un profond déséquilibre. Ces procédures disproportionnées visant la GALE ont été les prémices de la dissolution. On est alors en précampagne des présidentielles de 2022, on sent bien que ces élections sont phagocytées par des thématiques d’extrême droite et qu’il n’y a plus de place pour des discours humanistes ou sociaux. Dans ce contexte, Ciotti a interpellé Darmanin sur Twitter au sujet de la GALE en lui disant : « Regardez ces gens-là crient à bas l’État, les flics et les fachos. » Arrive ensuite l’épisode de Nantes Révoltée75, où lors d’une séance de questions au gouvernement, Darmanin va répondre à une députée de Loire-Atlantique qui le questionnait sur « des manifestations ayant dégénéré à Nantes » qu’il a engagé la procédure de dissolution de Nantes Révoltée76. Dans un article du Monde paru le lendemain, le ministère confirme que la procédure est lancée, et que Nantes Révoltée a 15 jours pour y répondre77. Sauf que tout de suite, les autorités décentralisées de l’État vont dire : « C’est pas possible de dissoudre Nantes Révoltée, c’est un organe de presse. » Donc en réalité, il n’y a pas eu de notification de procédure, Nantes Révoltée ne sera jamais inquiété, ce n’était qu’un effet d’annonce politique. Mais cet effet d’annonce politique a vendu du rêve à l’extrême droite. Le problème, c’est que si Darmanin n’a rien derrière le rêve, il le prend dans la gueule, alors il lui fallait à tout prix un petit truc de gauchiste pour vraiment donner des gages à l’extrême droite et ainsi racler les fonds de bidet. Et à ce moment-là, est arrivée la manif Bayer-Monsanto à Lyon, organisée par les Soulèvements de la Terre, et soutenue par la GALE. Et là, les élus de droite lyonnais vont en profiter pour interpeller le ministre en disant : « Mais c’est scandaleux, ils appellent à l’insurrection. » Le ministre de l’Intérieur va surréagir et va lancer la procédure de dissolution. Donc on a contesté la procédure en demandant un débat contradictoire au Conseil d’État. En consultant le dossier, j’ai trouvé les enquêtes de police et de renseignement d’une pauvreté affligeante, c’était désolant de méconnaissance. D’abord on a des personnes physiques visées par la procédure de dissolution qui n’étaient pas militantes de la GALE. Tout le dossier était en fait issu de l’exploitation de quelques réseaux sociaux. Un des faits reprochés était d’avoir tagué « NAZI » sur le mur d’un bâtiment pour décrire celui qui était à l’intérieur. Sauf que celui qui était à l’intérieur utilisait les symboles nazis, c’était donc bien un nazi. Il y a ensuite quelques débordements sur des manifestations, mais sans imputabilité directe des militants. Donc on a demandé au ministère de l’Intérieur : « Vous me dites qu’il y a des militants de la GALE qui ont été mis en cause dans cette procédure, OK mais lesquels ? » On nous répond que sur telle affaire, il y a eu quinze interpellés. Sauf que sur les quinze interpellés, seulement quatre ont été jugés et ont été déclarés coupables et aucun ne faisait partie de la GALE. Enfin, on leur reproche d’avoir dit et écrit « La police tue ». Mais c’est un fait objectif, c’est-à-dire que la police dans son action, tue. « La police assassine », c’est autre chose. On est sur un autre type de discours, mais « La police tue », c’est un fait objectif.
C’était des débats de ce type-là au Conseil d’État, des débats d’une pauvreté affligeante, qui ont démontré qu’on était uniquement dans une instrumentalisation politique, c’est à dire qu’on avait rien à reprocher à la GALE, si ce n’est le fait de dénoncer des violences policières et le développement de l’extrême droite en France. Dans le cadre de ce débat en procédure de référé-liberté, le Conseil d’État ne peut pas annuler le décret de dissolution, il ne peut que le suspendre. Et c’est ce qu’il a fait. La motivation de l’arrêt de suspension dit qu’aucun élément, individuellement ou collectivement, c’est-à-dire qu’aucun fait isolé ou même l’ensemble des faits qui ont été avancés par le ministère ne justifie la dissolution. Même quand on les met tous bout à bout, il n’y a rien. Maintenant on a une procédure au fond qui est engagée mais qui est plus longue et, vu ce premier arrêt, on est confiants78. Cette tentative de dissolution a posé des questions sur la lutte antifasciste : est-ce qu’on peut dénoncer un nazi comme étant un nazi ? Est-ce que quand on participe à une manifestation non déclarée, ça pose une difficulté ? Est-ce qu’écrire un slogan ou crier « ACAB » peut poser problème ? La GALE a symbolisé pour moi l’expression d’une démocratie qui est une démocratie viscéralement attachée à l’acceptation de tous, c’est-à-dire à l’idée que le fascisme est une idée qui ne peut pas prospérer parce qu’elle rejette l’autre simplement parce qu’il est autre.
2013—2023, 10 ans d’empowerment antifascistes
Nabilla Ces dix ans de lutte m’ont donné une ouverture d’esprit plus grande, une confiance en moi et une réflexion sur la stratégie politique. Quand tu as des choses qui t’indignent profondément et te révoltent, sentir la possibilité de faire quelque chose, de mettre en avant telle cause, telle lutte, par tel type d’action… C’est cette capacité que m’a apportée la GALE. Et évidemment, j’ai plein de souvenirs, plein de potes, on est là pour les anniversaires, les mariages, les truc joyeux comme les trucs tristes… C’est un gain pour la life, vraiment c’est une famille !
Côme À l’école, j’avais tout le temps des mauvaises notes, je faisais plein de fautes d’orthographe et on m’a toujours dit que ce que j’écrivais, c’était de la merde. Quand j’ai commencé à militer à la CGA, ils étaient tous profs, à avoir lu douze mille bouquins et à s’exprimer super bien, moi je me sentais comme un suiveur. Au boulot, quand j’étais pompier, il y avait plein de propos racistes, et soit je fermais ma gueule, soit je m’exprimais mal, en étant juste sur l’émotion. Avec la GALE, j’ai eu un endroit pour apprendre, tester, essayer des trucs sans qu’on me le reproche. Aujourd’hui, même des gens de ma famille qui ne sont pas très politisés disent du bien des textes que j’ai écrit. Ça m’a donné confiance, j’ai réussi à m’exprimer oralement, à prendre la parole sur la scène de l’Antifa Fest, devant six cents personnes. Et je me sens à l’aise de titiller intelligemment des gens qui ne sont pas d’accord avec moi. C’est un des gros trucs que m’a apporté le militantisme.
Yasmine Avoir du recul, avoir confiance en soi, prendre la parole, se sentir légitime, et ne plus avoir peur. Avant de rentrer à la GALE, je participais à plein d’AG et de réunions, mais je ne prenais pas la parole de base. Notamment parce que je suis racisée, je n’ai jamais été poussée à m’exprimer en public. Petit à petit, je me suis sentie plus à l’aise et j’ai aussi appris à laisser les tempêtes passer, à avoir une capacité à relativiser, à dire : « Bon ça va, tout va bien… » Mais surtout, ce qui a compté pour moi toutes ces années, ce sont tous les potes que je me suis faits, pas que des camarades, mais des vrais amis que je n’aurais jamais rencontrés sans la GALE.
Zoe Avant de rentrer dans la politique, je pense que j’étais naïve, et là, j’ai pris une grosse frappe de voir dans quel monde on vit, par exemple sur les violences policières. Et quand je les ai subies, je me suis dit : « Ha ouais, c’est ça la vie réelle. »
Mathéo La force de la lutte, c’est se rassembler, nourrir des amitiés, partager des valeurs et construire des choses super fortes. Ça m’a apporté beaucoup d’expérience pour m’organiser,construire des réunions, prendre la parole en public. Et puis ça a influencé mon regard sur le monde : je suis travailleur social, je passe des heures avec des gens abîmés, et quand le reste du temps, tu n’es que sur des terrains de lutte, avec les questions de sans-papiers, de droits humains, de classe, de pauvreté, de racisme, de gens qui meurent en Méditerranée… Ça fait quand même beaucoup de misère à affronter, et ça peut nous mettre une lunette uniquement sur ce qui est moche. On ne peut pas être vraiment heureux quand tout le monde est triste et souffre à côté de soi, donc ça m’a aussi jeté un regard très cru sur le monde.
Zede Pendant ces années, je me suis aperçue que les moments où je ne militais pas parce que j’étais déprimée, ça me déprimait encore plus. Prendre du temps, du contrôle ou du pouvoir sur les choses, ça aide à vivre la vie, et quand il n’y a pas ça, c’est compliqué de trouver du sens à l’existence, et ne pas avoir juste envie de sauter d’un pont. En tout cas j’ai l’impression que la politique, ça permet de faire des paris sur l’avenir, des paris qui paraissent utopiques, mais qui font vivre. Et puis surtout ce que ces années ont transformé en moi, c’est que je ne suis plus soc’ dem’ ! Et ça, c’est pas mal !
Lucas Avant j’étais en mode « Il faut détruire le chef qui est en nous », j’étais anarchiste antiautoritaire, antichef, aujourd’hui, je m’en fous, ce que je veux, c’est gagner, et pour ça, il faut être efficace, et du coup ça nécessite des stratégies un peu militaires, une organisation plus structurée, des formes d’autorité et de chef… En tout cas d’accepter qu’il y ait des rapports de pouvoir qui existent dans nos milieux et que ce n’est pas grave. Je ne suis pas devenu stal’ pour autant, je ne veux pas la création d’un parti avec des bureaux et un leader charismatique, mais je crois que je suis un peu moins utopiste sur la manière d’arriver à une potentielle révolution face à un État qui, lui, est super organisé et hiérarchisé, malheureusement on ne pourra pas être sur une horizontalité parfaite.
Changer quoi ?
Zoe Je sais pas si j’ai changé quelque chose, mais je pense que chacun peut apporter un petit bout de chose qui va renverser ce système, et j’essaie de l’apporter au quotidien.
Zede Je n’ai rien transformé. J’ai juste participé à créer ou à alimenter des espèces de moments où l’intelligence collective existe. Ces moments ne changent pas l’état d’un pays ou du monde mais j’ai l’impression que ça participe à rendre le monstre plus fragile. Ces petits trucs qu’on a faits sont comme des brèches ouvertes qui serviront pour les moments où il y aura des logiques plus insurrectionnelles. Et il y en aura.
Mathéo On a mis notre goutte dans l’océan de ce monde et on a essayé de l’influencer, avec nos mille followers sur Facebook ! En vrai, on a écrit, on a organisé des concerts, des conférences, on a parlé à des milliers de gens !
Côme Aujourd’hui, on rigole avec les plus vieux, quand on voit dans les manifs ou dans les concerts que tout le monde scande « Siamo tutti antifascisti », alors que dix ans en arrière, on était cinq ou dix à le faire en manif et les gens nous regardaient en se disant : « Ha, ce sont les gros virilistes antifas. »
En 2017, j’étais au contre G7 à Hamburg et il y avait un black bloc de dix mille personnes qui lançaient des « Siamo tutti antifascisti » face à des keufs, et là je me suis dit qu’il y avait une force antifasciste, et cette force-là, elle est pas venue du jour au lendemain, elle est venue grâce au travail de tous les petits groupes comme le nôtre.
Lucas Ça été important pour moi de participer à la reconstruction d’un milieu autonome qui se tient, qui se considère, qui se fait confiance, et qui fait des choses ensemble. J’ai l’impression que j’ai agi pour ça et je suis hyper heureux de la situation dans laquelle on se retrouve aujourd’hui politiquement à Lyon. J’ai l’impression qu’on a participé aussi à la diffusion d’un imaginaire antifasciste qui parle à une certaine jeunesse, qu’on a essayé de déconstruire l’idée que l’antifascisme, c’est l’affaire de gros mecs musclés et qu’on peut s’en saisir quand on est des meufs, des personnes trans, des pédés, et d’autres personnes que des Blancs. Je pense qu’on a réussi à faire ça !
Nabilla On a un peu réussi à l’échelle locale à ce que de plus en plus de personnes se rendent compte de la présence de groupes fafs sur Lyon, leurs modes d’action, leurs visuels… D’arriver à les identifier et à communiquer dessus. Après, à l’échelle nationale, notre dissolution n’a pas eu un écho de ouf, on est à Lyon, on est pas un groupe de Paris, les gens s’en battent les steaks ! Mais moi je suis super contente de ce qu’on a fait ici et je pense qu’il faut s’en contenter et ne pas toujours avoir des objectifs trop énormes avec des attentes sur des grands changements parce que c’est là où tu tombes dans la désillusion et tu vas finir par te taper la tête contre un mur.
Yasmine Je crois qu’on est arrivés à faire avancer humblement la pensée sur la violence d’extrême droite et sur l’État, au moins dans nos entourages… On a réussi aussi à faire parler de nous dans les médias sans que notre parole ne soit déformée, notamment lors de la dissolution ou de l’affaire des 7. Et je pense que nos milieux politiques, le milieu autonome de Lyon a avancé et a consolidé ses bases pour résister aux attaques de l’État, des flics et des fascistes, pour se préparer à une révolution peut-être ?
Et la révolution ?
Côme Avant, j’étais vraiment en mode « La révolution arrive, les gens vont aller dans la rue ! » Mais quand tu vois la place qu’a pris l’extrême droite en Europe, dans le monde et en France, je crois qu’on n’a pas vu ça depuis la guerre d’Algérie. Donc, j’y crois encore un peu à la révolution mais je ne sais pas quelle forme elle aura, si je la verrai, ou si je pourrai y participer.
Lucas Avec la GALE j’ai l’impression qu’on a réussi à imposer une nouvelle voie dans le champ politique français : un camp qui est révolutionnaire mais qui est révolutionnaire aussi dans la pratique !
Yasmine On idéalise beaucoup la révolution, moi je ne vois pas ça comme un moment T, c’est un processus qui prend du temps, des années alors je ne sais pas si je la verrai un jour mais j’espère. En tous cas, si un jour il y a un basculement, avec nos expériences de luttes, on a des outils pour l’après.
Nabilla La révolution ? Oui, oui, j’y crois. Après, je ne sais pas si j’y assisterai de mon vivant mais il y a des exemples de pays qui ont pu le faire de façon contemporaine, alors je pense que oui, c’est possible.
Zede C’est la moindre des choses qu’on se doit, d’espérer une révolution ! Ne plus vivre le capitalisme, ne plus vivre le patriarcat et les horreurs que ça crée ! En tous cas, faire genre « C’est possible » de changer quelque chose en mieux, ça aide à appréhender les choses et à ne pas être complètement en détresse. Alors j’espère qu’on pourra faire la révolution ! Et au pire, ce sera ceux d’après nous, mais ça arrivera !
« Je vous informe que le gouvernement a l’intention d’engager la dissolution du groupement antifasciste Lyon et environs, dont vous êtes l’un des dirigeants sur le fondement de l’article L.212-1 du Code de la sécurité intérieure.
En premier lieu, en cohérence avec sa ligne politique, le GALE (sic) inscrit sa stratégie dans la récurrence d’actions violentes, légitimées par un discours idéologique dirigé contre la violence et le racisme d’État.
En deuxième lieu, le GALE considérant que "L’État et sa police ne sont que des outils des dominants, de l’oligarchie économique" s’illustre tout particulièrement par ses invectives et appels à la haine contre les forces de l’ordre ainsi que des exactions et violences commises à leur encontre. En troisième lieu, le GALE se montre très actif sur ses différents réseaux sociaux appelant ses abonnés à "lutter" et légitimant le recours à la violence contre tous ceux qu’il considère comme ses adversaires, en particulier les mouvements d’extrême droite, "réserve armée et idéologique du capitalisme".
Certaines de ces publications génèrent des commentaires de même teneur qui ne font l’objet d’aucune modération de la part du groupement.
L’ensemble de ces éléments particulièrement nombreux et éloquents montrent que le GALE est régulièrement impliqué dans la commission d’actions violentes auxquelles il appelle et qu’il revendique ouvertement, tant à l’égard de ses adversaires politiques notamment d’ultra-droite qu’à l’égard des forces de l’ordre régulièrement prises pour cibles, dans les propos et actions du groupement ou de ses membres. Par suite, il est envisagé de dissoudre ce groupement de fait au motif qu’il provoque à des manifestations armées dans la rue ou à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens au sens du 1er article L.2121-1 et de l’article L. 212-1-1 du code de la sécurité intérieure.
Le jeudi 9 novembre 2023, le Conseil d’État a rendu ses conclusions concernant la procédure de dissolution de la GALE et a finalement validé sa dissolution et rejeté la requête du groupe.
Le Groupe Antifasciste Lyon et Environs a publié des images de violences à l’encontre de policiers, accompagnées de textes haineux et injurieux, ou encore des messages approuvant et justifiant des violences graves envers des militants d’extrême droite, entraînant des appels à la violence que le groupe n’a pas tenté de modérer. Le Conseil d’État estime que sa dissolution, fondée sur le 1° de l’article L. 212-1, n’était pas illégale.
En lisant à la fois le mémoire du ministère de l’Intérieur qui argumente la dissolution et la décision finale du Conseil d’État rendu « au nom du peuple français », il y a de quoi s’alarmer.
D’abord les violences reprochées à la GALE sont relatives et restent floues. Le ministère ne s’est même pas embarrassé à tenter de tisser un lien supposé avec une réelle entreprise terroriste, comme c’est le cas dans certaines dissolutions : la GALE a été dissoute pour des participations à des manifestations dans lesquelles il y a eu des affrontements avec la police, des écrits, et enfin pour des commentaires haineux dont les militant·es de la GALE ne sont pas les auteurices mais qui ont été publiés sous des articles des réseaux sociaux du groupe. Quiconque s’est déjà rendu sur un réseau social sait que la haine est légion dans les commentaires, y compris sur des comptes « mainstream », et qu’on a jamais dissout CNews pour les propos racistes et appelant à la violence tenus par ses propres animateurices ou invité·es79.
On a pu le lire dans ce livre, la GALE n’a pas de programme de lutte armée, ses moyens financiers permettent seulement d’imprimer quelques stickers et les jours de fête faire floquer des drapeaux. Comme le disent ses militant·es, c’est un groupe « minuscule », suivi par quelques personnes à Lyon dans la vie réelle et par quelques centaines sur les réseaux sociaux. Il est évident que cette dissolution est juste une censure d’un gouvernement sur ses opposants. Et on n’a pas besoin de partager les opinions de la GALE pour affirmer que c’est objectivement grave. Toute personne attachée à la République et à la démocratie devrait s’indigner d’une telle censure.
Maître Forray a apporté quelques éléments pour expliquer cette sanction. On peut aussi émettre l’hypothèse d’une stratégie de communication du gouvernement, appuyée par le Conseil d’État. En effet, le Conseil a choisit de rendre ses conclusions sur quatre dissolutions simultanées (alors que celles-ci n’ont pas été prononcées au même moment). Outre la GALE, il devait statuer sur les Soulèvements de la Terre, un groupuscule d’extrême droite et le CRI, Collectif contre le Racisme et l’Islamophobie.
Il était évident qu’au regard de la campagne de soutien dont ont bénéficié les Soulèvements de la Terre, recueillant des dizaines de milliers de signatures citoyennes mais aussi de politiques parlementaires proches de la Macronie, l’État pouvait difficilement dissoudre ce collectif écologiste. En choisissant de dissoudre trois petits groupes, il peut en revanche se targuer d’appliquer une même répression qu’on soit d’extrême gauche ou d’extrême droite, soutenant ainsi le poncif que les extrêmes se rejoignent, tout en comptant sur la large couverture médiatique dont bénéficient Les Soulèvements de la Terre pour invisibiliser les petites dissolutions.
Annexe — Autoportraits des galeux·ses
Les personnages
Zoe J’ai 35 ans, je suis travailleuse sociale, éducatrice avec des ados en foyer. J’ai toujours habité à Lyon, mon père bossait dans l’informatique et ma mère sur la prévention des risques pour la santé au travail, donc je viens plutôt de la classe moyenne aisée. Mais ma mère a vécu aux Minguettes80, là-bas, elle a milité dans des groupes politiques féministes et mon oncle, lui, est sociologue sur l’immigration, donc il y avait beaucoup de débats politiques dans la famille. Quand j’étais petite, alors qu’on partait en colo ensemble avec mon cousin racisé, je l’ai vu se faire traiter de sale arabe. À partir de ce moment-là, je me suis mis à taper tous ceux qui l’insultaient.
Mon cousin s’appelle François mais une fois, dans le métro, les policiers l’ont fracassé jusqu’à ce qu’il donne un autre nom, pour eux il ne pouvait pas avoir un prénom de blanc. Au début, il a refusé mais sous les coups, il a fini par dire : « Je m’appelle Mouloud ». Cette humiliation qu’il a subie à la vue de tout le monde m’a marquée. Plus tard, des flics m’ont pété la mâchoire, j’ai porté plainte et j’ai gagné au bout de sept ans de procédure. J’ai fait mes premières manifs et mes premiers blocages au lycée pendant le CPE, et puis je me suis rapprochée des groupes antifascistes qui existaient à l’époque sur Lyon, les Voraces et la Rafale, dans le quartier de la Croix-Rousse où j’ai découvert la librairie libertaire La Plume noire. Je voulais combattre le racisme que j’avais vu de mes yeux quand j’étais petite, construire ensemble des possibilités autres que ce qu’on nous imposait, proposer un idéal de vie… Politiquement, je suis sur une base anarchiste, anti-autoritaire. Mais les termes de vocabulaire, c’est pas trop mon truc, je suis Zoe et c’est tout ! J’étais là dès la fondation de la GALE.
Lucas J’ai 24 ans, je suis le petit frère de Zoé et je suis étudiant en droit. Je suis d’une famille d’origine juive, j’ai des cousins arabes et on m’a beaucoup parlé de mon grand-père qui était résistant gaulliste et qui a notamment transporté des bombes pour résister au nazisme. Petits, on savait qu’on était juifs : quand je regardais des films ou des documentaires sur la Shoah, ma mère rappelait que ça aurait pu être nous. À cette époque, ma famille était au Maroc, et ils ont été plus ou moins protégés du génocide. Donc j’ai grandi avec cette évidence que l’extrême droite était notre ennemi politique. Je dois également mon engagement à ma grande sœur qui a dix ans de plus que moi et qui m’a traîné dans le milieu des squats alors que j’avais 13, 14 ans. Pour moi c’était une femme forte, qui combattait les oppressions, et qui ne se laissait pas faire. Les week ends, j’étais tout le temps avec elle et ses amis, j’étais le « petit frère » de sa bande et je faisais des trucs qu’aucun de mes potes ne faisait. Une fois, il devait être minuit, ils m’ont appelé en bas de chez moi pour que je leur envoie les clés de la maison. Je me souviens être sorti de ma chambre sur la pointe des pieds pour prendre le trousseau et leur balancer par la fenêtre, qu’ils puissent rentrer discrètement et enlever des trucs craignos qui pouvaient traîner dans sa chambre, comme des bombes de peinture, avant une perquisition. Je devais aussi inventer des histoires pour que mes parents ne comprennent pas qu’elle était en garde à vue, j’avais l’impression d’avoir un rôle politique, de faire des choses utiles ! Après, j’étais un ado comme les autres, je dessinais des faucilles, des marteaux, et des A cerclés sur ma trousse. Mais avec les récits de bagarres contre les fafs, et la répression que subissait ma sœur — je me souviens par exemple du choc quand elle s’est fait péter la mâchoire par les flics — pour moi ce n’était pas juste un amusement.
Donc j’ai grandi en connaissant ce milieu, avec une position de « petit », de retrait, jusqu’en 2016, où pendant le mouvement contre la loi Travail, j’ai commencé à avoir une position beaucoup plus active dans les luttes, et j’ai pris une vraie place dans la GALE à ce moment-là. Je me définis comme militant antifasciste, mais je me considère aussi comme un militant anticapitaliste et révolutionnaire. Et aujourd’hui je m’affirme comme autonome, un mot que je voudrais reteinter de positif.
Yasmine J’ai 27 ans, je suis née en Italie, mes parents sont berbères, originaires du Maroc. Ma mère est femme au foyer, mon père a été ouvrier toute sa vie et j’ai un petit frère. Ma famille n’est pas du tout révolutionnaire et n’a pas une grande conscience politique, mais comme souvent dans les familles maghrébines, la cause palestinienne a toujours été très présente. En Italie, dans le milieu militant, tout le monde se dit antifasciste par rapport à l’histoire du pays, mais personnellement, ce qui m’a vraiment conduit à me réapproprier ce terme, c’est l’histoire de mes parents, l’immigration, tout ce qu’on a pu subir de racisme, et mon statut en tant que femme. Dans toute mon enfance, j’ai toujours entendu « sale maghrébine » mais aucune insulte liée à l’islam. Quand je suis arrivée en France en 2015 pour faire des études de sciences politiques, je portais le voile et ce n’était pas possible qu’il apparaisse sur mes photos d’identité alors qu’il était sur mes papiers italiens. Là-bas, il n’y a pas la même laïcité, on peut porter le hijab à l’école. C’est cette islamophobie qui m’a le plus choquée en arrivant en France. À la base, je voulais être journaliste, reporter de guerre ! À l’époque du printemps arabe, je m’imaginais aller dans ces zones de conflit, mais j’ai fait un flop dans mes études : je galérais avec mon niveau de français, et la loi Travail est arrivée, donc j’ai tout séché pour participer au mouvement social. Et c’est à la rentrée suivante que j’ai rejoint la GALE. Je me suis réorientée pour finir ma licence, mais j’en avais marre de la théorie alors j’ai décidé d’aller dans le social, c’était plus proche de notre militantisme. J’ai passé le concours d’une école d’éducatrice spécialisée et là, je suis fraîchement diplômée.
Il y a des milieux où ils sont tous et toutes profs, à la GALE on est toustes éduc’ ou assistantes sociales ! Je n’ai jamais vraiment aimé me définir, mais aujourd’hui, je me dis révolutionnaire, antifasciste, féministe et plutôt du côté autonome.
Mathéo J’ai 37 ans et je suis assistant social. Mathéo, c’est mon pseudo mais il n’a plus rien d’anonyme : Quand je sonne à la police aux frontières, ils m’appellent MATHÉO, c’est écrit sur ma fiche S parce que je suis repéré comme militant. Selon les services de renseignement intérieur, je suis dangereux pour la République, j’aimerais bien que ce soit vrai !
Je suis né dans le Jura, dans une petite ville de 20 000 habitants. À l’école, j’ai toujours eu des problèmes de comportement, j’ai eu des conseils de discipline, des exclusions d’établissements, parce que je foutais le bordel, je faisais chier les profs. Ma première colle en sixième, c’était pour « simulation de vente de drogue » : on prenait du sel, on faisait semblant de refourguer de la coke dans la cour de récré. C’est sûr que les parents, ça ne les a pas trop faits rire, j’étais un peu un p’tit con quoi ! Je viens de la classe moyenne basse, ma mère était infirmière et mon père commercial en bâtiment industriel, mais il a connu la grande pauvreté enfant : issu d’une famille ouvrière avec sept enfants, il a dû arrêter l’école à 14 ans pour aller travailler. C’était la grande époque du PCF, sa mère distribuait l’Huma, mais lui, dégoûté par les assistantes sociales qu’il a vu défiler à la maison, est devenu réfractaire au social, et aux gauchistes. Ma mère avait plutôt un discours politisé, sensible sur les questions d’injustice, de racisme, de solidarité avec les gens les plus pauvres, c’est elle qui m’a transmis ça. L’engagement, les blocages de lycées, les manifs, les prises de parole, j’ai commencé au moment du CPE, avec une vision naïve, je pensais que le PS, c’était la gauche ! C’est au début de mes études d’assistant social à Lyon que je me suis formé politiquement, j’ai rejoint des groupes militants et j’ai fait partie des gens qui étaient là au tout début de la GALE. Ça paraît un truc un peu ringard dit comme ça aujourd’hui mais moi, je suis communiste-libertaire ! Ça veut dire que je suis pour la socialisation des moyens de production, avec un mode d’organisation égalitaire : le mandatement impératif, des décisions en assemblée, la révocabilité… Mes références, c’est Marx évidemment mais j’aime beaucoup Nestor Makhno, Bookchin, Malatesta et Daniel Guérin.
Zede J’ai 26 ans, mon père aujourd’hui retraité était dans le bâtiment, et ma mère est enseignante. Avec elle, petite, j’ai fait des manifs de profs au moment de la loi CPE. Mes parents nous ont toujours dit à ma sœur et moi qu’ils étaient d’extrême gauche. En grandissant, je me suis rendu compte que leur principal engagement, c’était de lire le Canard enchaîné… J’ai eu un collège un peu pourri et violent : il y a eu un suicide, et j’avais un ami, dont j’étais très amoureuse, qui a fini complètement transformé par le collège où on lui a répété pendant des années qu’il était un bon à rien et qu’il finirait en prison. En troisième, il a été exclu plusieurs fois, et puis il a eu un accident grave de scoot : lui conduisait et son pote qui était à l’arrière est tombé dans le coma. Comme il avait déjà un casier parce qu’il vendait genre des casquettes volées, on lui a dit que si le pote mourait, il irait en taule. Le mec est resté six mois dans le coma, ça l’a rendu fou. Et il a fini par mourir et mon ami est parti en prison. J’ai trouvé ça injuste, c’était impensable qu’il se retrouve là-bas alors que c’était juste un accident !
J’ai imputé ça à la manière dont on nous traitait au collège, entre les bons et les mauvais, ceux qu’on programmait pour aller dans les hautes sphères et ceux qu’on allait jeter à la poubelle. J’ai culpabilisé de ne pas avoir bougé à l’époque, on aurait du ouvrir nos gueules. Alors peut-être que la politique est venue comme une espèce de réparation de ce que je n’avais pas fait. Quand je suis arrivée au lycée, j’ai commencé à militer dans le premier truc qui s’est présenté : l’UNL81. Mais c’était tout pourri : la seule revendication, c’était le droit de vote à 15 ans, et en réunion, on ne faisait que discuter du nom du prochain trésorier.
Quand je suis rentrée à l’université, c’était le moment où ils ont buté Rémi Fraisse, il y a eu des grosses émeutes et c’est là que j’ai commencé à m’intéresser au milieu autonome et squat. J’ai fait trois ans à la fac, j’ai navigué un peu avant de reprendre des études d’art à Lyon en 2020. C’est à ce moment-là que j’ai rejoint la GALE. Ce qui me convient le mieux politiquement, c’est le communisme libertaire et l’anarcho-syndicalisme, parce que j’ai l’impression que ça ne cède pas à la facilité de l’esthétisation dans laquelle peut tomber l’autonomie parfois.
Côme J’ai 34 ans, je suis un des fondateurs de la GALE. Ma mère est encore syndicaliste, mon père était secrétaire général de la CGT dans la région où on habitait, mon grand-père était résistant maquisard dans l’Ain. Je viens de la campagne et, dans les années 90, dans mon village, je vivais dans une sorte d’impasse cul-de-sac, tous les voisins se connaissaient, et un jour, un de mes amis qui était algérien est venu taper à la porte. Au moment où je suis sorti, mon voisin lui a carrément jeté un petit caillou en lui disant : « Dégage, sale bougnoule ». Après cette histoire-là, il n’est plus venu me chercher chez moi, il avait peur. On avait 8 ans, et le voisin une bonne quarantaine, cette image me restera toujours.
À 13 ans, je suis passé de la campagne à un quartier en périphérie de Lyon, une « zone d’éducation prioritaire », donc il a fallu me faire une place, que j’ai obtenue grâce à quelques bagarres dans la cour du collège. Ma première manif, c’était en 2002 contre Jean-Marie Le Pen au deuxième tour des élections présidentielles, j’ai séché les cours pour y aller. Ensuite, j’ai été au lycée pour faire un brevet de technicien. J’étais en terminale pendant le CPE, c’était les premiers moments où t’as un peu d’adrénaline en manifs sauvages et où tu te dis qu’on va gagner. Et pour le coup, on avait un peu gagné à l’époque…
Après le lycée, je n’avais plus envie de faire des études, j’ai fait beaucoup d’intérim, éboueur, travaux publics, assainissement… Jusqu’à passer un diplôme à la SNCF, j’ai été aiguilleur pendant un an mais ça ne m’a pas du tout plu, trop répétitif, j’avais l’impression de devenir con. Et comme en parallèle, j’étais pompier volontaire, j’ai passé le concours pour devenir pro et je l’ai eu, je suis donc sapeur-pompier professionnel depuis quinze ans, mais là, je me suis mis en dispo et j’essaie de passer le diplôme d’éducateur spécialisé.
Je ne me présente pas genre « bonjour, je suis anarchiste », mais ma tendance politique, c’est l’anarchie à tendance autonome, et ça, je l’ai découvert dans mon parcours militant, en lisant des bouquins, en regardant des reportages sur l’anarchisme en général.
Nabilla J’ai 31 ans, je suis éducatrice spécialisée. C’est vrai qu’il y a que des éduc’ à la GALE, c’est un truc de fou !
Je suis née au bled, à Tanger, je suis arrivée en France vers 6, 7 ans, ça a été facile de m’intégrer par la langue, parce qu’à cet âge-là, t’apprends hyper vite. Pour mes grands frères et sœurs, ça a été plus difficile. Mes parents sont venus en France pour bosser : ma mère comme femme de ménage, mon père était très doué en fac de maths au bled, mais quand il est arrivé, ça a été BTP d’office. On s’est installé dans une petite ville industrielle. Mes parents ont toujours la carte de séjour, moi j’ai dû aller au tribunal pour faire une naturalisation quand j’étais au lycée.
J’ai grandi dans les galères d’une famille ultra nombreuse. Quand mon père est mort, j’ai hérité de dettes, donc c’est un peu l’éternel recommencement : quand t’es pauvre, t’es déterminé à le rester.
À l’époque, je vivais dans un quartier qui a été détruit aujourd’hui où il y avait beaucoup d’immigrés venant de toute part, je zonais avec des Algériens, des Tunisiens, des Ivoiriens, des Roumains, les Gitans d’à côté… et l’ambiance était bonne. Mon père nous a toujours dit qu’il fallait s’intégrer sans faire de bruit, sans se mêler de la politique. Mais en 2005, il y a eu les émeutes82, j’ai vu l’expression de la colère des « grands » : pétards, feux d’artifice, voitures qui brûlent, confrontations avec la police et cris. Je me suis rendu compte que quand tu vis en périphérie, tu te fais gommer plus facilement par les flics, vu que ça ne se passe pas en centre-ville et qu’on est pas catégorisés comme des bonnes gens, personne ne réagit. Un an après, je passe en seconde et participe à mes premières manifestations contre le CPE. On se mettait devant, on retournait les poubelles, on foutait le feu, je n’y voyais pas de sens politique, on foutait le zbeul, c’était juste un exutoire.
Après avoir obtenu mon bac ES j’ai débarqué à Lyon, je logeais à Rillieux-la-Pape chez des tatas, j’allais à la fac et je faisais des jobs de merde à côté : McDo, Carrefour, restauration, AED, surveillante, pionne en collège, intérim, livraisons… C’était dur. À la fac, j’ai repris le foot que j’avais commencé petite, j’ai rencontré des filles très politisées et féministes et on a monté Les Débuteuses, une équipe de foot inclusive et militante sur le modèle des Dégommeuses83 à Paris. Et c’est avec cette équipe que j’ai rencontré la GALE, que j’ai intégrée en 2018. Et puis avec ces filles, je me suis retrouvée dans une grande coloc, à majorité lesbienne, donc je me suis ouverte aux réalités de la communauté LGBTQIA+. Je viens d’une famille où l’homosexualité, c’est niet, et dans laquelle j’ai été conditionnée à devenir une bonne petite hétéro, maintenant je me dis à quatre-vingt-dix pour cent lesbienne donc c’est une déconstruction de ouf !
Politiquement, je me définis antifasciste, féministe, radicale… et en colère ! En vrai, je suis une toto, mais je ne suis pas une toto rouge ! Les totos rouges, c’est les autonomes mais qui sont communistes, moi je me revendique autonome dans l’autogestion, l’autodétermination, dans une nébuleuse de personnes qui réfléchissent, travaillent ensemble, mais où chacun garde son indépendance intellectuelle, de mouvement et surtout, où il n’y a pas de leader, pas de chefs !
Le décor : « Ici c’est Lyon »
Mathéo Quand je vivais encore dans le Jura, j’ai passé un week end sur Lyon avec des potes, plutôt des roots, genre cheveux longs bouclés, et on a croisé des mecs en treillis, crânes rasés à blanc. Mon pote a fait le couillon, il leur a montré sa tignasse et a lancé : « Alors les gars, faut vous laisser pousser les cheveux ». L’un d’entre eux s’est retourné et a commencé à le courser : « Toi fais pas le malin, je vais prendre tes cheveux, je vais en faire du savon ». C’était la première fois que je voyais des skinheads nazis, pour moi à l’époque, ça n’existait que dans les films. Et là j’ai capté que le mouvement d’extrême droite était très fort dans cette ville.
Côme Lyon, c’est une grande ville qui est séparée en trois par deux fleuves. Il y a la rive gauche du Rhône, avec la Guillotière, quartier historique de l’immigration. Avant, les pauvres n’avaient pas le droit de traverser le pont de la Guillotière qui rejoint la presqu’île coincée entre Rhône et Saône, quartier de la bourgeoisie et du pouvoir avec notamment l’hôtel de ville. Après, si tu traverses la Saône, tu te retrouves dans le Vieux Lyon avec toute son histoire catholique, la cathédrale Saint-Jean, la basilique de Fourvière, aujourd’hui les cathos intégristes et les fascistes sont basés là-bas. En arrière de la presqu’île bourgeoise, il y a la colline de la Croix-Rousse, quartier de gauche avec son histoire révolutionnaire et populaire à travers notamment les Canuts84. Et tout ça se fait à pied. De la Guillotière, tu traverses deux ponts et en dix minutes, tu peux croiser des fascistes. Et c’est la même chose si tu descends la colline de la Croix-Rousse. Au final tout le monde se retrouve dans le centre bourgeois : fascistes, antifascistes, jeunes des quartier s de Vénissieux ou de Vaulx-en-Velin qui arrivent tous à Terreaux et Bellecour85, d’où partent et arrivent la plupart des manifs, donc un affrontement peut vite arriver à Lyon.
Zede Au début, je n’avais pas du tout conscience de la présence fasciste, mais une fois, on s’est baladés dans le Vieux Lyon à deux, on est rentrés dans un bar et on s’est provoqués verbalement avec des fafs. En sortant, on s’est retrouvés face à vingt de leurs potes qui nous attendaient avec des couteaux. On a réussi à fuir mais c’était juste.
Yasmine Dans ma ville en Italie, il n’y avait pas de groupes organisés de fascistes de rue. La première fois que je me suis retrouvée face à eux, c’était ici à Lyon. Et la fois où j’en ai vu le plus, c’était en décembre 2022 à Bellecour après le match Maroc-France. Déjà, étant marocaine, j’avais trop la mort de perdre contre la France, mais en plus, ce soir-là, il y avait plus de cinquante mecs cagoulés, en noir, avec des parapluies et des drapeaux français. Ils ont chassé toute la soirée en scandant « on est chez nous », il y a eu vite fait des affrontements, deux ou trois patates qui ont été données et, comme d’habitude, les flics les ont quand même pas mal protégés86.
Côme Lyon a ses contradictions historiques : tu as les gros anarchistes du début du siècle, l’assassinat de Sadi Carnot87, mais c’est aussi une place forte du catholicisme88. C’est la ville de Jean Moulin, mais aussi celle de Klaus Barbie. Nous, on s’inscrit dans une sorte d’histoire de résistance parce que depuis des années, Lyon est vue comme la place forte des fachos : c’est ici que tous les nouveaux groupes fascistes se sont créés avant de s’exporter dans le reste de la France, voire même en Europe : les identitaires, les Jeunesses nationalistes, l’Œuvre française, le GUD qui existait à Paris mais qui a refait surface à Lyon pour devenir le Bastion Social.
Lucas Il y a aussi la présence de Civitas contre qui on s’est battus : ce sont des intégristes catholiques qui veulent restaurer la religion d’État, avec un gouvernement autoritaire qui combattrait les juifs, les musulmans, mais aussi les homosexuels, les personnes trans… Ils revendiquent d’ailleurs le tabassage des personnes LGBT et ils contraignent les femmes à un rôle uniquement reproductif. Ils sont tellement dans la radicalité, que certains de leurs prêtres ont été exclus de l’Église catholique. Je les lie beaucoup à l’Action Française, des royalistes également présents à Lyon. À un moment, ils ont été juste des espèces de personnes âgées un peu séniles qui ne faisaient plus peur à grand monde, mais aujourd’hui, ils recrutent beaucoup dans la jeunesse tradi catho de la ville…
Côme C’est Alexandre Gabriac, l’ancien leader des Jeunesses nationalistes, groupe dissous à la suite de la mort de Clément Méric, qui a intégré et rajeuni Civitas. Et sur Lyon, Gabriac, on le connaît très bien pour ses nombreuses violences. Il est célèbre aussi pour avoir été viré du Front national après un salut nazi. Il est proche d’Yvan Benedetti de l’Œuvre française, les deux se recueillent chaque année sur la tombe de Mussolini…
Lucas Là, on est vraiment sur du néofascisme, mais malgré leur posture très radicale, ils arrivent quand même à se créer une petite façade lisse pour rassembler encore plus de monde : aujourd’hui, la Manif pour tous89 à Lyon est beaucoup gérée, en interne, par des membres de Civitas…
Côme En 2011 et 2012, les Manifs pour tous, à chaque fois, c’était une bagarre avec les fafs et quand on se bagarrait pas, tu les voyais défiler par centaines à Lyon, c’était horrible ! Tout ces groupes ont été créés ou renforcés ici par des leaders lyonnais, et je pense qu’on n’existerait pas s’ils n’étaient pas là… Enfin on mènerait d’autres luttes. Alors avec la géographie lyonnaise, on a cette impression de guerres de quartier, c’est ce que renvoient les procès, les politiques, les journaux… Comme si c’était une guerre de gangs, mais ça n’a rien à voir. Et mettre nos idées sur le même plan, c’est dangereux ! Il n’y a pas de dos à dos : nous, on prône l’égalité, le vivre ensemble, et eux prônent carrément le contraire, ils n’ont pas des opinions, ce sont des délits ambulants. Et Lyon est devenue la base de leur truc90 !
Remerciements
Burn~Août Cet ouvrage a été financé grâce à une campagne de financement. Il n’aurait pas été possible sans le soutient des donateurices. Merci merci merci à elleux !
Les éditions Burn~Août tiennent à remercier Olivier Minot et les membres de la GALE qui ont accepté de se prêter au jeu et de répondre gratuitement aux questions. Service local pour son travail de maquettage et son accompagnement dans la campagne de financement, et nos amis Mio, Arnaud et Coralie. Merci aussi à Nouckey et aux autres, qui nous ont signalé les coquilles présentes dans le premier tirage de cet ouvrage en vue de sa réimpression.
Olivier Minot Un grand merci pour la grande confiance que m’ont accordée les militant·es qui ont participé à ce livre, ainsi qu’à l’équipe de Burn~Août pour son accompagnement.
Colophon
Relecture par Mio Koivisto, Arnaud Taillefer.
Publié sous licence CC BY–NC–ND.
Version imprimée
Une version papier de « À bas l’état, les flics et les fachos ! », fragments d’une lutte antifasciste, imprimée en sur Offset sans bois 200 g/m², Holmen Book Extra Blanc 80 g/m² en 1 500 exemplaires lors du premier tirage par Corlet Imprimeur (ZI, rue Maximilien Vox, 14110 Condé-en-Normandie), reliée en dos carré collé, et distribuée par Paon Serendip est parue en octobre 2024 avec l’ISBN suivant : 978-2-49353-404-0.
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